Sciences

France 2 peine à prouver que nous sommes tous racistes

Par Louis Daufresne. Synthèse n°2515, Publiée le 28/06/2025 - Photo : L'émission de France Télévisions : Sommes-nous tous racistes ? Crédits : YouTube.
Le magazine Sommes-nous tous racistes ? (France 2, 17 juin, 21 h 10) visait à « comprendre les mécanismes inconscients à l'origine de comportements discriminants ». Des caméras cachées devaient « piéger » cinquante volontaires attirés par une émission sur « les mystères du cerveau ». Hélas, le manque de rigueur de certains protocoles rend ces expériences sociales peu probantes.

Producteur de l'émission, Arnaud Poivre d'Arvor escomptait des « résultats stupéfiants » sur ce « sujet inflammable » (Le Monde). On peut repérer le racisme dans le cerveau. Celui-ci, « pour simplifier notre environnement », ferait des raccourcis en séparant ce qui peut nous rassurer de ce qui peut nous menacer. Le racisme proviendrait toutefois de stéréotypes, c'est-à-dire de réflexes actionnés par un système de valeurs. In fine, c'est donc une construction sociale qui est visée et que la science se chargerait ici de dévoiler. Pour cela, il suffirait de créer des situations dont les acteurs sont malgré eux les sujets, à l'image de la célèbre expérience du psychologue Stanley Milgram (LSDJ n°1453).

Le concept interroge. On entend dire que le racisme n'est pas une opinion, mais un délit. En l'inscrivant dans un champ scientifique, ne risque-t-on pas de ressusciter les anciennes démarches d'un passé maudit ? En faisant du racisme un réflexe partagé par tous, ne lève-t-on pas un interdit, même inconsciemment ? Chercher à expliquer le racisme, n'est-ce pas déjà justifier une lecture différenciée du genre humain et mettre ainsi en cause son unicité ?

Bien sûr, le discours de l'émission aspire à en repérer les mécanismes enfouis pour le combattre. Outre le sourire de Marie Drucker, Jamy Gourmaud, célèbre vulgarisateur scientifique (C'est pas sorcier), pilote une cinquantaine de « cobayes ». Leur attitude sera scrutée par le psychosociologue Sylvain Delouvée, vrai superviseur de l'opération, tandis que le réalisateur et comédien Lucien Jean-Baptiste, « noir et chauve », tirera les leçons de chaque expérience.

La première se déroule dans une salle d'attente. Deux comédiens masculins, portant les mêmes vêtements, sont assis l'un à côté de l'autre. L'un est noir, l'autre blanc. Une chaise vide se trouve à chaque extrémité. On ouvre la porte aux cobayes pour les faire asseoir et presque tous vont se placer près du blanc. La porte n'étant pas équidistante des sièges, une seconde séquence intervertit les comédiens. Et là, patatras, la même chose se produit ! Pour Sylvain Délouvée, « ce n'est pas un comportement raciste, mais reptilien ; on cherche la similitude ; on va chercher quelqu'un qui nous ressemble ».

Les biais sont énormes : la personne ouvrant la porte aux volontaires n'a pas la même posture dans la première et la seconde séquence. Elle semble chaque fois indiquer des trajectoires implicites. Il aurait fallu que les cobayes ouvrent la porte eux-mêmes. Le blanc est occupé à lire, le noir a une attitude relâchée. Ne cherche-t-on pas toujours la présence de ceux qui ne nous dérangeront pas ? L'expérience ne montre pas si des cobayes noirs s'assoient près du comédien blanc. En fait, il aurait fallu que le blanc soit mal habillé et inoccupé. Ainsi aurait-on pu identifier si le rejet présumé du comédien noir tenait à sa couleur.

Une autre scène présente un homme sciant le cadenas d'un vélo. Quand il est blanc, les passants se montrent bienveillants, jugeant qu'il en a perdu la clé. S'il est maghrébin, ils soupçonnent un vol. Certains appellent la police et les agents arrivent pour le menotter. Quand le comédien est une femme, des hommes s'avancent pour l'aider. Le biais réside ici dans le mauvais jeu des acteurs : le blanc scie mollement le cadenas, le Maghrébin le fait nerveusement et dit aux passants « ne vous inquiétez pas », ce qui justement les inquiète... Cette scène prouve juste que l'habit fait le moine. Ce proverbe tient moins du préjugé que du postjugé. Statistiquement, le Maghrébin volera plus de vélos qu'un blanc qui en volera beaucoup plus qu'une femme.

Même chose pour la scène de la photo où l'on voit deux athlètes côte à côte sur une ligne de départ, l'un blanc, l'autre noir. Les volontaires disent majoritairement que le noir va gagner la course. On peut présumer que la réponse provient juste du fait que 95 % des athlètes courant le 100 m en moins de 10 secondes sont noirs. Rien de moins, rien de plus. Où est le préjugé ?

Une distorsion comparable s'observe dans la scène sur les accents. Dans un amphithéâtre, un comédien joue le rôle d'un professeur. Il lit un texte sur l'IA. Un premier groupe de volontaires l'entend avec l'accent allemand ; un second avec l'accent marseillais. Un troisième groupe écoute un vrai professeur noir dire le même texte. Résultat : si l'Allemand est perçu comme « compétent et peu chaleureux », c'est l'inverse pour le Marseillais. Quant au professeur africain, il ne convainc personne. « Les volontaires ne pouvant se référer à un stéréotype sont déroutés », note Sylvain Delouvée. Si le cerveau ne peut catégoriser ce qu'il voit, il devient perplexe. Ici aussi, les biais sont énormes : le professeur noir a beau être compétent, il ânonne son texte, et c'est ça qui le sanctionne, pas sa couleur de peau, outre sa silhouette chétive flottant dans un costume trop grand.

D'autres scènes ont du mal à traduire le poids des stéréotypes : pour un même fait, les volontaires transformés en jurés d'assises sont cinq fois plus nombreux à donner une peine de prison au Maghrébin. Les Asiatiques sont les plus sévères. Le blanc a une « bonne tête » d'étudiant, la prison n'est pas pour lui. N'attribue-t-on pas au regard sur une origine (préjugé) ce qui relève d'un comportement statistiquement constaté (postjugé) ?

Dans deux séquences, l'émission ne fait pas appel aux volontaires, mais à des enfants : la première est un spectacle de marionnettes : Vanessa s'est fait voler son pain au chocolat. Les petits doivent voter pour dire qui est coupable : Kevin le blanc ou Moussa le noir ? Les deux enfants noirs désignent le blanc, les enfants blancs désignent le noir. C'est peut-être la scène la plus vraie de l'émission, avec celle qui suit, le fameux test des deux poupées : les petites filles noires préfèrent la blanche « parce que j'aime bien ses yeux bleus ». L'une veut « se mettre de la crème », preuve qu'elle a « internalisé le stéréotype blanc » qui la fera réussir dans le monde adulte. Son choix ne contredit-il pas le fait que notre cerveau « cherche la similitude » ? L'émission ne répond pas à la question. En tout cas, ce test en dit long sur la puissance inouïe du modèle occidental, inversement proportionnelle à son poids démographique. Il serait intéressant de faire le même test avec des poupées indiennes ou chinoises.

Retour aux volontaires en amphi : on fait défiler des photos sur un écran. Seule la première compte pour l'expérience. Dans un paysage urbain fouillis, on a du mal à distinguer au centre deux personnes accroupies dans la rue, l'une blanche et l'autre maghrébine, dont on ne sait pas laquelle fait la manche. En vrai, c'est l'étranger qui donne une pièce au clochard indigène, mais, quand on demande aux cobayes de s'en souvenir et de décrire la photo sur le mode du téléphone arabe, ils inversent les rôles ! Cette confusion tient-elle du préjugé ? Pas forcément. Beaucoup de SDF ont un type européen. On peut l'expliquer par des biais : la posture voûtée du Maghrébin que le bonnet et la polaire associent à un sans-abri, alors que le blanc n'a pas de vêtements distinctifs.

Sur le même principe, on montre la photo d'une femme asiatique prenant un sushi avec des baguettes. Les volontaires doivent dire le mot qui leur vient à l'esprit. C'est « asiatique » qui sort le plus souvent. Mais lorsqu'on voit la même femme en train de se maquiller ou porter une blouse blanche, ils disent « maquillage » ou « médecin », sans tenir compte de l'origine. Cette expérience ne prouve rien : l'œil se focalise sur l'objet. Les baguettes font penser à l'Asie, le rouge à lèvres aux cosmétiques, la blouse à l'hôpital. Voilà tout.

Dernière scène notable, d'ordre neuronal (à 1h15) : on projette le dos d'une main se faisant piquer par une aiguille. Un capteur mesure l'empathie du volontaire. Si la main est blanche, le cobaye blanc ressent de la douleur. Si la main est noire, il n'a pas de réaction. C'est la même chose pour le cobaye noir : il souffre si la main qu'il voit lui ressemble. La troisième phase de l'expérience est intéressante : si on montre une main violette, alors les deux cobayes souffrent. Pourquoi ? Parce que chacun peut y voir la sienne, alors que la couleur de l'autre empêche l'identification. Conclusion : « Les préjugés effacent l'empathie. » Mais, là encore, on peut attribuer ce résultat solide et mesurable (le seul d'ailleurs de l'émission) à l'absence de postjugé. La main violette n'existant pas, notre cerveau ne l'associe à personne. Libéré de la réalité, il ne voit que la main.

Pour tirer des leçons de Sommes-nous tous racistes ?, il faudrait que les données soient fiables et transparentes. Or, aucune statistique détaillée ni aucune information sur la sélectivité au montage ne sont communiquées.

La sélection
On débunk l'émission de propagande de France 2
Regarder sur YouTube
S'abonner gratuitement
Ajoutez votre commentaire
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
France 2 peine à prouver que nous sommes...
0 commentaire 0
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne