Loi anticasseurs : faut-il opposer le droit et l'ordre ?
Société

Loi anticasseurs : faut-il opposer le droit et l'ordre ?

Par Louis Daufresne - Publié le 06/02/2019
Il avait comparé la loi "anticasseurs" au régime de Vichy. Charles de Courson estime qu’il y a "des gens qui ont encore une conscience". Le député centriste s’est réjoui sur RTL que 50 députés LREM – un record – se soient abstenus hier pour marquer leur refus des interdictions préventives de manifester. L’Assemblée nationale a largement adopté la proposition de loi LR remaniée par la majorité (387 voix, contre 92, et 74 abstentions) et si le texte n’a pas fini son parcours (retour au Sénat le 12 mars et le 20 mars au Palais Bourbon), ses détracteurs reportent leurs espoirs sur le Conseil constitutionnel.

Écouté par Emmanuel Macron, l’avocat François Sureau jouit d’une réputation de personnage inclassable. En s’indignant le 4 février dans une interview donnée au journal Le Monde, l’écrivain a jeté tout son poids dans la balance de la Justice. Le Conseil constitutionnel le connaît bien. Il s’y était distingué par des plaidoiries contre l’état d’urgence. Sa dénonciation de la loi "anticasseurs" s’inscrit dans la même veine. Mais que valent-elles devant la Grande Peur qui saisit l’État ? La fébrilité de son appareil nourrit une tendance au tout-répressif qui alimente la colère des Gilets jaunes. La loi "anticasseurs" prétend rompre cette spirale.

En fait, deux visions s’opposent ici :
L’une fondée sur la primauté du droit. François Sureau s’émeut en lisant l’article 2 qui énonce  "que le représentant de l’État (…) peut, par arrêté motivé, interdire de prendre part à une manifestation déclarée à toute personne à l’égard de laquelle il existe de sérieuses raisons de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public." C’est le retour au XIXe siècle avec les Gilets jaunes dans le rôle des canuts. Que sont les "sérieuses raisons" et que recouvre "une menace d’une particulière gravité" ? Sureau voit se profiler "les ragots de police" et doute "qu’un juge, saisi en référé, pourra y faire obstacle." La loi oublie qu’un préfet pense "ce que le gouvernement lui dit de penser", précise Sureau. Les élus de la nation sont ainsi coupables d’avoir abdiqué leur pouvoir entre les mains d’une autorité administrative. Cimenté par cette loi, l’appareil d’État pourra interdire toute forme d’opposition publique. Quel que soit le chef en place
L’autre vision repose sur la primauté de l’ordre. Le député LR des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti, compare ce texte à "une bouée de sauvetage dans une forme de naufrage". Défendre la liberté de manifester – qui n’est pas inscrite dans la Constitution – ne résout rien de la situation mais l’aggraverait plutôt. Que resterait-il de nos droits si le chaos permanent devait les ensevelir ? Nul ne souhaite que les casseurs et autres blacks blocks continuent à sévir impunément. L’exécutif fait le pari que l’opinion, à la longue, se rangera du côté de la paix civile. Certes, le saccage de la statue de Marianne le 1er décembre demeure un traumatisme. Des arrestations préventives auraient pu l’empêcher sans grever les budgets sécuritaires ni épuiser les troupes. Mais peut-on comparer les Gilets jaunes, même les plus extrêmes, à l’islamisme radical pour faire d’une exception la nouvelle norme ?


Quoi qu’il en soit, ce débat montre que l’écart s’accroît entre le discours incantatoire sur la liberté et la réalité de l’exercice de celle-ci, aussi bien dans le monde politique qu’économique. Il fait aussi réfléchir à un paradoxe : pourquoi un modèle libertaire engendre-t-il des lois liberticides dont nul n’imaginait qu’Emmanuel Macron en serait, en fait, à l’origine.

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