Le couvre-feu, douteux contre-feu mais vrai cache-sexe
Politique

Le couvre-feu, douteux contre-feu mais vrai cache-sexe

Par Philippe Oswald - Publié le 15/10/2020
Et revoilà le confinement, ou plutôt le semi-confinement, localisé, nocturne et qualifié par Emmanuel Macron de « couvre-feu » pour filer la métaphore présidentielle du début de l’épidémie : « Nous sommes en guerre ! ». Ce couvre-feu (de 21 heures à 6 heures du matin) touchera à partir de vendredi soir minuit (et non samedi : le premier ministre Jean Castex a corrigé le président, ce 15 octobre) et pour au moins quatre semaines, vingt millions d’habitants d’Île-de-France et de huit métropoles (Lille, Rouen, Lyon, Grenoble, Saint-Étienne, Aix-Marseille, Montpellier, Toulouse). C’est la seule nouvelle à retenir de la demi-heure présidentielle d’hier soir, allocution déguisée en interview devant deux faire-valoir rompus au genre « pas de question qui fâche ». Le reste, les gestes barrières, les mesures de bon sens pour protéger les personnes vulnérables d’un virus « qui tue », merci, on savait déjà.

Le chef de l’État n’a ouvert aucune perspective sur sa stratégie sanitaire et sur son articulation avec la préservation de l’économie. Deux de ses phrases ont néanmoins retenu l’attention : cette incise insolite sur l’application « StopCovid » qui « n’est pas un échec » mais « n’a pas marché » et, plus inquiétante, cette affirmation : « On s’était habitué à être une société d’individus libres. Mais nous sommes une nation de citoyens solidaires »… Comme si l’heure était venue de sacrifier nos libertés fondamentales à une solidarité précisément mise à mal, non seulement par le « séparatisme », mais par des ukases sanitaires (dans les EHPAD par exemple). Enfin cet aveu, glissé au passage : ce couvre-feu est destiné à freiner la diffusion du virus pour ne pas saturer les réanimations dans les hôpitaux où 30% à 40% des lits sont occupés par des malades de la Covid-19.

Autrement dit, il s’agit une nouvelle fois « d’aplatir la courbe », c’est-à-dire de lisser dans le temps le nombre de cas graves afin de soulager nos services sanitaires. Mais rassurons-nous, « nous n’avons pas perdu le contrôle ». En tout cas, pas comme au printemps dernier. Mais depuis le pic tragique d’avril, on attend toujours 6000 lits de réanimation pour atteindre les 12 000 promis par le ministre de la Santé, ou plutôt, on ne les attend plus, car, les aurait-on, ils seraient inutiles, faute de personnel formé à la « réa » (cf. LSDJ 1092).

C’est donc encore et toujours à cause de ces « défauts manifestes d’anticipation, de préparation et de gestion » pointés par le rapport de la « Mission indépendante d’évaluation de la réponse française à la crise sanitaire engendrée par l’épidémie de Covid-19 » que vingt millions de Français vont être soumis au couvre-feu. Ils seront privés de dîners entre amis, de restaurant, de bar, de cinéma, de théâtre, sommés d’être rentrés chez eux avant 21 heures sous peine d’une amende de 135€ et de 1500€ « en cas de récidive » ! Bien entendu, ces menaces n’auront aucun effet dans les banlieues et quartiers « sensibles » où l’on voit mal des policiers s’aventurer à verbaliser les contrevenants… Mais les autres citadins, ceux qui ne jouent pas aux artificiers et ne tendent pas d’embuscade à la police, devront payer ou trouver des dérivatifs « confinés » à leur déprime.

Quant aux professionnels de la restauration et des spectacles une nouvelle fois stigmatisés, comme s’ils étaient les principaux responsables des contaminations (on attend toujours l’étude épidémiologique qui le démontrera), ils oscillent entre colère et désespoir. Combien d’entre eux survivront-ils à ces nouvelles fermetures administratives ? Après ces boucs émissaires, ce sont tous les Français, quelles que soient leurs activités et leurs ressources économiques, qui vont éprouver de plus en plus durement les conséquences sociales et psychologiques de cette crise sanitaire, révélatrice d’une profonde crise de civilisation. Rarement dans l’histoire, sinon sous les régimes totalitaires, on aura vu toute une société être ainsi poussée à « mourir de peur » par ceux qui la gouvernent. 
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