La Russie serait-elle en train de déstabiliser les Balkans ?
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La Russie serait-elle en train de déstabiliser les Balkans ?

Par Peter Bannister - Publié le 18/02/2023 - Photo : Wikivoyage / Wikimedia Commons
L'allégation selon laquelle Moscou chercherait à exploiter les tensions politiques dans les Balkans, soit pour détourner l'attention de l'Occident de l'Ukraine, soit pour créer un éventuel second front dans le conflit, n'est pas nouvelle. Depuis le début de la guerre, on craint par exemple que la Russie ne cherche à utiliser ses quelque 1500 soldats dans la république autoproclamée de Transnistrie en Moldavie dans le cadre d'une attaque visant Odessa. À plusieurs reprises, le gouvernement moldave s'est dit l'objet d'une « guerre hybride » russe, notamment par le biais d’un chantage énergétique. Les évènements des dernières semaines suggèrent pourtant que l'hostilité affichée par la Russie à l'égard de la Moldavie pourrait s'inscrire dans le cadre d'une stratégie plus large. Le Kremlin semble vouloir affaiblir, voire renverser des dirigeants des nations des Balkans cherchant à s'affranchir d'une tradition historique de soutien à Moscou, comme le montrent des développements en Moldavie (ex-république soviétique) mais aussi en Serbie.

La Moldavie ne compte que 2,6 millions d'habitants, mais plusieurs incidents viennent de la ramener sous les feux de la rampe. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a d'abord déclaré que la Moldavie pourrait devenir la « prochaine Ukraine » en raison de sa politique pro-occidentale (la neutralité de la Moldavie est inscrite dans sa constitution depuis 1994, mais elle a le statut de candidat à l'UE). Lavrov a notamment accusé la présidente moldave Maia Sandu d'être « prête à presque tout », y compris l'union avec la Roumanie et la recherche d'une adhésion à l'OTAN. Quelques jours plus tard, Chisinau s’est plaint qu'un missile russe visant l’Ukraine a pénétré l'espace aérien moldave. Le 13 février, dans une atmosphère d’incertitude suite à la démission du gouvernement de Natalia Gavrilita, Maia Sandu a annoncé, sur la base d'informations ukrainiennes, que la Russie tentait de fomenter un coup d'État en Moldavie. Elle a décrit un scénario dans lequel des saboteurs en civil allaient attaquer des bâtiments publics et prendre des otages, dans le but de remplacer le régime actuel. Des ressortissants de la Serbie, du Monténégro et de la Biélorussie seraient impliqués dans le complot, ainsi que des individus liés aux politiciens d'opposition Ilan Shor et Vladimir Plahotniuc (deux oligarques qui ont fui le pays en 2019, accusés d'avoir participé à une fraude bancaire massive en 2014 s'élevant à 12% du PIB moldave). Des manifestations anti-gouvernementales devaient servir à mettre le feu au poudre, mais les soupçons concernaient également les supporters serbes du l’équipe de football Partizan Belgrade qui avaient l'intention d'assister à un match contre le Sheriff Tiraspol en Transnistrie.

Le rôle éventuel de ressortissants monténégrins et serbes est particulièrement intrigant dans ce contexte. Les commentateurs ont noté des parallèles entre ce supposé complot et l’implication probable de la Russie dans une tentative de coup d'État ratée au Monténégro en 2016, l'élément commun étant l'objectif apparent d'empêcher l'adhésion du Monténégro à l'UE. Quant aux Serbes, des traces d’activités clandestines russes similaires à celles alléguées en Moldavie viennent également de faire surface en Serbie et au Kosovo.

Dans des entretiens accordés au Corriere della Sera et au Telegraph britannique, la présidente kosovare Vjosa Osmani a affirmé que le groupe russe Wagner, collaborant avec des paramilitaires serbes, serait en train d’importer des armes au Kosovo dans le but d’y préparer des opérations militaires. Allégations difficiles à évaluer, mais qui pourraient être liées à la volonté des nationalistes serbes de remplacer le président Aleksandar Vucic, qui tente depuis quelque temps de marcher sur la corde raide entre Moscou et l'Occident. La Serbie – candidate à l'UE tout comme la Moldavie – a condamné l'invasion de l'Ukraine, mais elle reste le seul pays européen, à l'exception de la Biélorussie, à ne pas avoir appliqué de sanctions anti-russes et à avoir maintenu les vols vers Moscou. Depuis quelques mois, le groupe Wagner recrute en Serbie parmi les éléments qui reprochent à Vucic d'être trop mou envers les Occidentaux. Le groupe d'extrême-droite « Patrouille du Peuple » de Damjan Knezevic a récemment revendiqué la parution au centre de Belgrade d’une peinture murale où figure le célèbre crâne des paramilitaires russes. Le 15 février, Knezevic (qui a visité le quartier général de Wagner à St-Pétersbourg en décembre) a parlé lors d'une manifestation devant le bâtiment de la présidence serbe pour demander la démission de Vucic et le rejet d'un plan occidental de normalisation des relations avec le Kosovo. Sur les bannières des manifestants figurait entre autres le slogan : « La trahison du Kosovo est une trahison de la Russie. » Knezevic et quatre autres hommes ont été arrêtés le lendemain, soupçonnés de vouloir renverser le gouvernement serbe avec le soutien d'un « pays étranger ». L'ambassadeur russe à Belgrade a nié toute ingérence dans les affaires intérieures serbes.
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