La
Société

La "cancel culture", nouveau Maccarthysme ?

Par Judikael Hirel - Publié le 02/12/2019
Se dirige-t-on, lentement mais sûrement, vers l’essor d’un nouvel ordre moral ? Un ordre où un camp du bien autoproclamé doit avoir raison sur celui d’en face, nécessairement le mal ? Une chanteuse noire américaine qui ne fait plus de tournées pour ne plus jouer devant des blancs ; des étudiants vegans qui exigent qu’on décroche du réfectoire d’une des plus vieilles facultés anglaises une scène de chasse comprenant des animaux morts... La question se pose également, d’une manière différente, avec l’affaire Polanski, où l’on voit un film interdit de salle en Seine-Saint-Denis. Coupable, non coupable… Le tribunal des réseaux sociaux, le diktat de l’émotion immédiate, l’emportent sur la justice. Et demain ? "Un comité de vérification de la moralité des artistes programmés est-il prévu ?", questionnait récemment Stéphane Goudet, directeur du cinéma Le Méliès, à Montreuil.

Médias, déclarations, pièces de théâtre, films, mais aussi dessins animés ou tableaux… Poussant le politiquement et socialement correct encore un cran plus loin, les nouveaux censeurs passent au filtre de leur propre vertu tout ce qui nous entoure. Jusqu’à confiner à l’absurde et à l’anachronisme : alors que la National Gallery de Londres se sent obligée de souligner que Gauguin a "profité de sa position d’Occidental privilégié" pour avoir des relations sexuelles avec des fillettes, Farah Nayeri, dans le New York Times, se demande carrément si l’on doit arrêter de regarder, voire d’exposer Gauguin. Le mot exact utilisé étant "cancel", Michel Guérin, rédacteur en chef au Monde juge que "les Etats-Unis sont gagnés par une "cancel culture", soit l’effacement des créateurs non convenables." Peut-on, doit-on nettoyer l’art, la culture la société, réécrire l’histoire au fil de l’air du temps, tantôt relativisme moral, tantôt rigorisme exacerbé et communautaire ? D’aucuns ont essayé jadis, parlant alors d’art dégénéré. On connait la suite... Le même mode de pensée exige sans doute de ne plus écouter Michael Jackson, de ne plus lire Céline, voire de brûler livres et disques.

Le dernier exemple en date est et sans doute le plus ridicule et le plus inquiétant à la fois : Disney. Du fait du lancement de sa plateforme de vidéos en streaming, le géant américain se sent obligé de s’excuser … de tout ! "Ce programme est présenté tel qu’il a été créé. Il peut contenir des représentations culturelles dépassées", est-il expliqué avant tout film ou cartoon. Pour l’essayiste Olivier Babeau, ce message "est le symptôme de l’incapacité croissante que nous avons à prendre du recul face à nos propres canons culturels.(…) Ces œuvres sont-elles si choquantes, vues avec les yeux d’aujourd’hui, qu’il faille une sorte d’équivalent des avertissements devant les films violents ou pornographiques ?" "Ironie de l’histoire, souligne-t-il, les représentations puritaines des années 1950, qui avaient déjà passé les histoires au tamis d’une bienséance toute victorienne, sont désormais elles-mêmes condamnées comme hérétiques."

"On dresse les gays contre les hétéros, les Noirs contre les Blancs, les femmes contre les hommes", décrypte l’écrivain et journaliste britannique Douglas Murray. En matière de lois comme de mœurs, notre société contemporaine, après nous avoir soigneusement dressés les uns contre les autres, renvoie chacun à ses propres idées, à sa vision close et communautaire des choses. Fidèle en cela au miroir grossissant et déformant que constituent les réseaux sociaux, qui ne se nourrissent que de nos conflits. Cette nouvelle société morale, cette "cancel culture" incapable d’accepter toute opinion divergente, présente surtout comme particularité de considérer ses postures à la fois comme évidentes et définitives. Tel un nouveau Reich millénaire...
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Douglas Murray : "On dresse les gays contre les hétéros, les Noirs contre les Blancs, les femmes contre les hommes"
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