L’« annus horribilis » de l’Arabie Saoudite
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L’« annus horribilis » de l’Arabie Saoudite

Par Philippe Oswald - Publié le 03/10/2019
Le crime ne paie pas toujours. Un an après l’assassinat de l’opposant et journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans les locaux du consulat saoudien d’Istanbul, le 2 octobre 2018, cette sordide affaire d’Etat colle à la djellaba du prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS). Il a beau plaider « responsable mais pas coupable », personne ne croit un seul instant que des sous-fifres aient agi à son insu. Le prince, que l’on présentait à son avènement, il y a deux ans et demi, comme un homme « moderne », ouvert, désireux de réformer en profondeur le royaume, est lourdement tombé de son piédestal. Il a certes desserré le carcan sur les femmes, enfin autorisées à voyager sans l’autorisation d’un tuteur, mais l’effet de ses réformes a été ruiné par une campagne d’arrestations de militantes féministes, et par la brutalité de sa dictature qui n’a pas épargné ses proches.

Si la séquestration (au Ritz Carlton, tout de même) de dizaines de princes et d’hommes d’affaires saoudiens rançonnés par MBS dès son arrivée au pouvoir n’a guère ému l’opinion publique internationale, le traitement barbare infligé à Khashoggi l’a révulsée. Aux Etats-Unis, le Congrès et la presse sont chauffés à blanc, d’autant que le journaliste, résident américain, avait l’oreille de la CIA (qui dit n’avoir « aucun doute » sur le fait que MBS a ordonné son assassinat) et écrivait des éditoriaux dans le Washington Post.

La guerre impitoyable menée par l’Arabie Saoudite au Yémen (avec notamment des armes achetées à la France) depuis avril 2015 lui a aliéné non seulement l’ONU mais jusqu’au peuple sunnite du Yémen que le royaume était supposé défendre contre les « rebelles » houthistes chiites … Le comble, c’est que ces « gueux » alliés de l’Iran viennent d’infliger deux cuisantes humiliations à l’armée suréquipée du royaume et à ses alliés : au mois d’août, dans une audacieuse embuscade tendue à la frontière, ils ont tué 200 combattants pro-saoudiens des forces gouvernementales yéménites, et fait un millier de prisonniers, dont des officiers saoudiens  ; plus fort encore, le 14 septembre, ils ont réussi à frapper le territoire du royaume en détruisant plusieurs des installations pétrolières stratégiques d’Aramco avec des drones et des missiles de croisière.

Difficile après cela de continuer à se poser en rempart contre l’Iran. Même le petit (mais riche !) Qatar (sunnite, mais allié de l’Iran) a tenu tête à son grand voisin en résistant crânement au blocus que Riyad a organisé contre lui avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte. Donald Trump lui-même, qui avait accordé au royaume sa première visite à l’étranger, semble se détourner de la monarchie wahhabite saoudienne qui bénéficiait du soutien inconditionnel des Etats-Unis depuis 1945. On verra si le G20 qui doit se tenir l’an prochain à Riyad, parvient à redorer le blason de MBS (dont la politique de diversification de l’économie pour passer à l’après-pétrole à l’horizon 2030 peine à démarrer). Son père, le vieux roi Salman, qui n’a pas eu à se féliciter de son choix, le maintiendra-t-il au pouvoir d’ici-là ?

En attendant, la fragilisation de MBS est une aubaine pour Téhéran qui a opportunément annoncé avoir reçu des offres de paix de Ryad. Les mollahs seraient avisés de se saisir de l’occasion pour apaiser les ardeurs belliqueuses de Trump et l’inciter à tenter un « new deal »… Pourquoi en effet le président américain s’interdirait-il de chercher un accord avec l’Iran des mollahs après avoir tendu la main au tyran rouge coréen Kim Jong-un ? Grand ou petit Satan, qu’importe le convive, pourvu que dîner avec le diable serve les intérêts de l’Amérique…et la réélection de son président.
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