Santé

L'inquiétante dégradation de la santé mentale chez les jeunes

Par Maximilien Kopriwa. Synthèse n°2290, Publiée le 10/10/2024 - Image : Détresse d'une jeune fille. (Shutterstock)
Mal depuis longtemps ignoré, la santé mentale s'est imposée comme un élément central au moment de la crise de Covid-19. Victimes en première ligne, les jeunes sont particulièrement concernés par l'usage d'antidépresseurs et les rendez-vous psy en tous genres. Analyse d'une baisse de moral alarmante.

À quoi pense et rêve la jeunesse ? D'après un récent rapport de l'Assurance maladie (voir sélection), la consommation d'antidépresseurs aurait bondi de 60 % chez les 12-25 ans entre 2019 et 2023. Selon la Cour des comptes, « 1,6 million d'enfants et adolescents souffrent de troubles psychiques en France. » Des troubles qui apparaissent pour moitié avant quatorze ans et davantage chez les filles que les garçons.

D'où vient ce mal-être et comment interpréter ces chiffres alarmants ? Toutes les études, nationales comme internationales, soulignent le contrecoup psychique du Covid-19 et de ses confinements. Sur la population en général et sur les jeunes en particulier, la pandémie infectieuse a donné naissance à une pandémie psychiatrique. Si la première est terminée, la seconde joue les prolongations. En 2023, 936 000 jeunes (entre 12 et 25 ans) ont été remboursés au moins une fois pour un médicament psychotrope. D'après l'université de Bordeaux, 40 % des étudiants présenteraient des symptômes dépressifs, soit 14 % de plus qu'avant la crise sanitaire. Les 18-25 ans seraient environ 30 % à penser au suicide ; c'est 10 % de plus qu'avant la pandémie ! Même combat pour le recours aux urgences psychiatriques par les mineurs : il a explosé de 65 % entre 2016 et 2021 ! Maria Melchior, épidémiologiste et directrice de recherche à l'Inserm, explique : « Plusieurs facteurs semblent en cause : la perte du lien avec leurs copains, le manque d'activité physique, l'inadaptation de l'enseignement à distance, mais surtout le bouleversement de voir leurs propres parents ébranlés par la crise. Enfin, la pandémie a mis en lumière l'impact considérable des inégalités sociales puisque faire partie des catégories défavorisées — chômage, précarité, mal-logement, isolement social  —  a été statistiquement associé à un risque accru de tomber malade, décéder, ainsi que de développer des troubles psychologiques. » Sans oublier l'addiction aux écrans et aux réseaux sociaux, source d'anxiété et de troubles du sommeil que la crise a favorisée.

Mais la pandémie n'explique pas tout : le mal est plus profond, plus ancien. Pour le Dr Marie-Rose Moro, pédopsychiatre — chef de service de la Maison de Solenn / Maison des adolescents, de l'hôpital Cochin à Paris — ce mal-être a commencé avant le Covid et n'est pas réductible aux réseaux sociaux. Elle constate souvent chez ses jeunes patients une perte de « l'élan vital », c'est-à-dire un renoncement à la capacité de créer, de s'opposer, de désirer. « Ça veut dire (...) qu'un quart d'une génération perd l'élan vital et se dit : Que je continue, que je ne continue pas, je ne tiens pas suffisamment à la vie, à mes attachements, à mes valeurs… » La conséquence est « une sorte de développement a minima de leur personnalité et de leurs envies. » En consultation, il est question de l'état d'un monde qui n'est plus désirable parce qu'il est perçu comme n'étant plus habitable. « L'éco-anxiété » rejoint la pression scolaire dans un contexte de chômage de masse. Il faut bien survivre, mais survivre c'est participer à un système qui détruit l'habitabilité du monde... Le travail n'a plus de sens. Être adulte, non plus. La France est le troisième pays, après le Japon et la Corée du Sud, en termes de phobie scolaire. Parcours Sup auraient contribué à développer un stress supplémentaire chez les jeunes Français. La jeunesse manque de perspectives et de repères dans ce monde atomisé. On lui répète qu'elle est libre et émancipée, unique responsable de son destin. Le jésuite et pédopsychiatre Bruno Saintôt résume : « Les jeunes sont seuls ».

Certains spécialistes, sans remettre en question cette réalité préoccupante, appellent néanmoins à nuancer. Pour le Pr Lejoyeux, chef du service psychiatrie-addictologie de l'hôpital Bichat, les chiffres des études pourraient aussi être le signe d'une meilleure reconnaissance de la souffrance, considérée auparavant comme un passage obligé de l'adolescence. En outre, les demandes d'aides concerneraient les profils déjà fragiles, ce qui doit tendre à nous rassurer. Ensuite, il est crucial de distinguer les maladies mentales réelles de l'anxiété liée à l'époque. N'oublions pas le facteur des déserts médicaux jouant sur la hausse de consommation d'antidépresseurs. Faute de pouvoir rediriger leurs patients vers des soins adaptés, les médecins généralistes peuvent les prescrire comme solution rapide.

Enfin, les professionnels alertent depuis des années sur le manque d'effectifs en pédopsychiatrie. Selon une étude publiée dans Le Monde en avril 2023, seuls 750 000 à 850 000 des 1,6 million d'enfants et adolescents en souffrance psychique reçoivent des soins spécifiques par des professionnels de la pédopsychiatrie. Lancé en 2022, le dispositif Mon psy constitue une première initiative palliant le manque d'accès aux consultations spécialisées. Il offre aux jeunes la possibilité de bénéficier de séances remboursées avec un psychologue conventionné pour des troubles psychiques légers ou modérés. Autre initiative, privée cette fois : Miel Abitbol, une influenceuse de 17 ans qui partageait ses épisodes anxieux avec sa communauté, a lancé l'application gratuite Lyynk en collaboration avec une équipe médicale. Destinée à soutenir la santé mentale des jeunes, elle permet notamment le maintien du lien avec les adultes, autre élément central du traitement.
La sélection
Étude « EnCLASS » : dégradation de la santé mentale des jeunes entre 2018 et 2022
Lire l'étude sur Ameli (Assurance maladie)
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