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L’implosion de « l’extrême centre » aux Pays-Bas

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 10/07/2023 - Photo : Mark Rutte quitte le palais royal après avoir confirmé sa démission au Roi Willem-Alexander (ANP Mag/ANP via AFP).

L’annonce a fait l’effet d’une bombe au sein des institutions européennes et des gouvernements libéraux de l’U.E. : le Premier Ministre néerlandais Mark Rutte a posé sa démission le vendredi 7 juillet. C’est un projet de loi visant à restreindre les règles autour du droit d’asile qui a provoqué sa chute. Alors que les Pays-Bas étaient réputés pour la plate stabilité de leur vie politique, et Mark Rutte pour sa science du compromis, cet événement confirme l’explosivité du thème de l’immigration. La scène politique néerlandaise est fractionnée entre de multiples partis formant des coalitions. Mark Rutte, un homme de centre droit connu pour ses manières affables, poursuivait son quatrième mandat et s’était fait une réputation d’habile manœuvrier.

Deux longues nuits de discussions entre les 4 partis de cette coalition centriste n’ont pas abouti. Après 13 ans d’exercice du pouvoir, Rutte a préféré jeter l’éponge provoquant des élections anticipées en novembre prochain, pleines d’incertitudes. D’un côté le VVD, le parti de centre-droit du démissionnaire et son allié de droite le CDA, voulaient imposer des règles pour juguler la vague montante des demandeurs d’asile ; par exemple, une période de deux ans pour permettre aux demandeurs d’asile de faire venir leurs familles et l’introduction de quotas. La moitié gauche de la coalition était composée du D66, libéral démocrate et de ChristenUnie, un petit parti chrétien progressiste : elle s’est opposée à ce projet. À la surprise des dirigeants des deux partis de gauche, Rutte n’a pas voulu transiger. Comment expliquer un tel raidissement ? Le New York Times, quotidien ancré à gauche et chantre du modèle multiculturaliste, s’en émeut et y voit la confirmation d’une poussée de « l’extrême-droite » en Europe (voir l’article en lien).

Les Pays-Bas comptent 17,9 millions d’habitants et devraient recevoir cette année 45 000 demandes d’asile. Le pays fait face à une grave crise du logement et le climat social s’est fortement tendu depuis le confinement imposé à la population pendant la pandémie du Covid-19. Le gouvernement a même été confronté à la révolte des fermiers à qui il comptait confisquer des terres sous le prétexte de la protection de la nature – avec l’intention surtout de construire des logements. De cette colère est né un nouveau parti : le BBB (« Mouvement du Citoyen Fermier »). S’il se situe du côté de la droite modérée, il est le porte-voix de tous ces éleveurs qui ont vu leurs existences sociales et professionnelles directement menacées par leur gouvernement accusé d’être le porte-flingue des ultra-libéraux de Bruxelles ou du Forum Économique Mondial de Klaus Schwab. Si le leader du BBB, Caroline van der Plas, est la seule élue de son parti au Parlement, elle a remporté une éclatante victoire lors des élections régionales de mars dernier. Le BBB contrôle aujourd’hui la majorité des coalitions administrant les régions. Une victoire à l’échelle nationale l’automne prochain serait un coup de tonnerre dans le ciel européen après les élections municipales espagnoles (voir LSDJ 1913) et les législatives en Grèce.

Mark Rutte a dû faire face à la contestation dans son propre parti, le VVD. Sentant la pression de sa base réclamant un meilleur contrôle des flux migratoires et face à une montée de l’insécurité dans le pays, il a été obligé de promettre des règles plus strictes. En contrepartie, il a demandé à son parti d’approuver un projet de loi devant imposer aux régions et municipalités des quotas de réfugiés. Comme en France, l’idée est d’éparpiller le nombre grandissant de demandeurs d’asile partout dans le pays. Face à l’opposition de ses alliés du centre-gauche, Rutte a donc préféré jeter l’éponge. Les deux partis de centre-gauche l’accusent de se préparer une nouvelle vie politique, après 13 ans d’exercice du pouvoir. Les partis classés à l’extrême-droite et à l’extrême-gauche sont ravis de l’aubaine. Le PVV anti-immigration de Geert Wilders et un nouvel entrant, le JA21, voient dans les élections de novembre une fenêtre favorable. Les Verts et les Travaillistes cherchent à se positionner pour prendre la place des deux partis formant l’hémisphère gauche de la coalition aujourd’hui disparue.

Dans un pays connu pour sa modération, les problématiques de l’immigration, de l’écologie et de la perte de confiance dans les institutions sont en train de bouleverser l’équilibre politique. De graves affaires de corruption touchant la gestion des allocations familiales et celle du champ de gaz naturel de Groningen ont profondément choqué une population marquée par la rigueur protestante. Jusqu’au mois de novembre, le gouvernement va gérer les affaires courantes. Le coup de poker de Mark Rutte – provoquer des élections anticipées – va-t-il lui permettre de revenir au pouvoir à la tête d’une nouvelle coalition ? En attendant, les drapeaux verts des fermiers rebelles du BBB flottent un peu partout sur les polders hollandais…

La sélection
Collapse of Dutch government highlights Europe’s new migration politics
Lire l'article sur The New York Times
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