
La fermeture de C8 n'a pas fini de faire des vagues
Le 28 février dernier, à minuit, les chaînes C8 et NRJ12 ont cessé d'émettre. Leur autorisation de diffusion sur la télévision numérique terrestre (TNT) arrivait à échéance et n'avait pas été renouvelée par l'« autorité de régulation » de l'audiovisuel, l'Arcom. Ces deux chaînes venaient d'être déboutées de leurs recours devant le Conseil d'État, celui-ci ayant jugé que la décision de l'Arcom n'était pas entachée d'illégalité. Jugement sans surprise puisque le même Conseil d'État avait enjoint l'Arcom, en février 2024, de renforcer son contrôle en matière de respect du « pluralisme et de l'indépendance de l'information ».
Le Conseil d'État répondait ainsi à une plainte de l'ONG Reporters sans frontières contre les médias audiovisuels du groupe Bolloré, le cœur de cible étant l'émission à succès « Touche pas à mon poste ! » (TPMP) de Cyril Hanouna sur C8. Cette émission vedette avait déjà été sanctionnée par plus de 7,6 millions d'euros d'amendes. La veille de sa fermeture, dans la soirée du 27 février, « C8 et son dernier prime time, TPMP (...) se sont installés en tête des audiences, toutes chaînes confondues (...) ! Hanouna a rassemblé 3,34 millions de téléspectateurs, entre 21h15 et 22h (...). En face, avec Envoyé spécial, France 2 et Élise Lucet n'ont séduit que 1,3 million de téléspectateurs — trois fois moins que Hanouna… » relève Boulevard Voltaire (28 février).
Si la fermeture de la chaîne de divertissement NRJ12 n'a guère suscité de débats, celle de C8, première chaîne de la TNT en nombre de téléspectateurs, en a scandalisé beaucoup et fait réagir des responsables politiques (Laurent Wauquiez, Marine Le Pen, le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau), des journalistes et des figures du paysage audiovisuel français, telle la journaliste et ancienne membre de l'Arcom, Françoise Laborde (sur Sud-Radio en lien ci-dessous). Ils stigmatisent une attaque contre la liberté d'expression, un acte unique dans l'histoire de la télévision française mais typique d'une censure politique, qui, de surcroît, met au chômage 400 salariés. Parmi les célébrités protestataires, relève Télé 7 Jours (20 février), le vidéaste Rémi Gaillard, qui compte plus de 7 millions d'abonnés sur Youtube. Il a écrit sur X (ex-Twitter ) : « C8 (…) est la seule chaîne qui m'a permis d'agir concrètement pour des SDF (...) Pour cela, je les remercie. » On ne saurait donc classer tous ces protestataires « à droite et à l'extrême droite » comme l'a fait, par exemple, Public Sénat (28 février) qui, soit-dit en passant, se voit attribuer sur la TNT la fréquence ainsi « libérée » par C8. Cette chaîne parlementaire assure que la décision de l'Arcom « n'est pas de la censure ». Selon elle, le régulateur n'aurait fait « qu'appliquer les critères de la loi du 30 septembre 1986 qui impose aux chaînes de télévision de respecter l'honnêteté, le pluralisme et l'indépendance de l'information ». La chaîne parlementaire se fait ainsi l'écho fidèle du chef de l'État : interrogé sur les accusations de censure, le samedi 22 février alors qu'il inaugurait le Salon de l'agriculture, le président de la République avait soutenu que la fermeture de C8 « n'est pas une décision politique », et affirmé l'indépendance de l'Arcom et du Conseil d'État.
C'est précisément cette indépendance qui est douteuse. Si l'accusation de décision arbitraire sur fond de connivence idéologique est toujours discutable, il existe incontestablement un point commun entre le Conseil d'État, l'Arcom, et l'organisation « non gouvernementale » Reporters sans frontières. Le secrétaire général de cette ONG à l'origine de la plainte, Christophe Deloire (décédé d'un cancer foudroyant en juin 2024), avait été nommé en octobre 2023 délégué général des États généraux de l'information par Emmanuel Macron. Le Conseil d'État et l'Arcom sont dirigés par des personnalités nommées ou « proposées » par le président de la République. Leurs carrières les situent à gauche, dans la mouvance du Parti socialiste, comme le chef de l'État lui-même. Aujourd'hui à la tête du Conseil d'État, Didier Tabuteau a travaillé dans les cabinets ministériels auprès de Claude Évin (Santé, 1988-1991), de Martine Aubry (Emploi et solidarité, 1997-2000) et de Bernard Kouchner (Santé, 1992-1993 puis 2001-2002). Martin Ajdari, président de l'Arcom, a été membre de 2000 à 2002 du cabinet de Laurent Fabius, alors ministre des Finances, puis responsable du bureau du financement du logement au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie (2002-2004). De 2004 à 2009, il était directeur général délégué de Radio France puis, de 2010 à 2014, secrétaire général du Groupe France Télévisions. Ces radios et télévisions publiques françaises sont réputées pour leur tropisme de gauche. Calomnies? Adèle Van Reeth, l'actuelle présidente de France Inter, a ouvertement revendiqué cette orientation politique dans un entretien au Figaro (28/03/ 2024) : « Les faits, c'est que nous sommes une radio progressiste, et nous l'assumons. » La première radio de service public ne devrait elle pas observer une neutralité exemplaire ? Cette déclaration provocante ne semble pas avoir ému l'Arcom.