Société

La cyber sécurité au service de la lutte contre les pédocriminels

Par Agnès Dirat - Publié le 17/05/2024 - Crédits illustration : Picture-Alliance via AFP / Fotostand / Gelhot
Les téléphones sont mis de plus en plus tôt entre les mains des enfants, créant de potentielles cibles pour les pédophiles cachés dans la jungle d'internet. Tentant de prendre les criminels à leur propre piège, des unités de gendarmerie ont mis au point des méthodes spéciales permettant à la justice de les débusquer et de les condamner plus efficacement. Récit d'une infiltration des écrans par les forces de l'ordre.

En cyberdéfense, un processus astucieux a été mis en place pour coincer les pédocriminels. Le Parisien (voir sélection) l'illustre par un exemple. Louise, 14 ans, parcourt une plate-forme de discussion entre ados quand un homme de 43 ans la repère. Cet individu à tendances pédophiles entre alors en contact avec la jeune fille en la complimentant. Rapidement, le prédateur entame son jeu de séduction : il obtient de l'adolescente qu'elle se décrive physiquement, demande des photos, se fait très flatteur...

Ce pédocriminel est loin de s'imaginer que celle avec qui il correspond n'existe pas. Car à la place de la mineure, c'est en réalité un agent de l'Unité nationale cyber de gendarmerie qui lui répond. Le piège fonctionne : à force d'échanges, les propos de l'homme se font explicites, incluent des propositions de scénarios sexuels et voici qu'il propose à « Louise » un rendez-vous sexuel pour lequel il indique son adresse à Reims. Victoire de l'autre côté de l'écran : le gendarme a réussi sa mission. Jamais le quarantenaire ne rencontrera l'adolescente. Il est arrêté et jugé pour « proposition sexuelle à un mineur de moins de 15 ans par Internet suivie de rendez-vous ». La peine qu'il encourt s'élève à 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende. Notons que l'inexistence réelle de « Louise » n'amoindrit en rien son chef d'accusation.

Ce coup de filet du début d'année fait partie d'une opération d'ampleur nommée Horus. Entrée en vigueur en 2020, elle mobilise une centaine de gendarmes formés à traquer sur le net les pédophiles. Ses résultats sont probants puisqu'elle a permis d'interpeller 64 hommes entre novembre 2023 et février 2024. Le dispositif s'inscrit dans un développement plus large de méthodes de cyber défense adaptées à l'évolution fulgurante d'internet. De l'aveu du capitaine Julien Caumond, chef du département des atteintes aux personnes à l'UNC, les pédocriminels sont « de plus en plus directs » dans leur approche : ils peuvent par exemple envoyer une photo 30 secondes après une prise de contact, là où ils auraient été beaucoup plus précautionneux il y a une dizaine d'années. Le colonel Hervé Pétry, membre d'Horus, note pour sa part un tournant : « La lutte contre la pédocriminalité en ligne a évolué [...] notamment à la suite de la crise sanitaire. C'est-à-dire que les acteurs habituels, qui étaient très tournés vers le tourisme sexuel, s'orientent vers des pratiques en ligne. »

Ces nouveaux prédateurs emploient souvent deux modes opératoires courants des pédophiles. D'une part, ils ont recours au direct (ou live streaming) pour diffuser des « actes d'abus sexuels [...] sur des sites du Dark Net » — cette méthode leur permet de récolter des paiements en crypto-monnaie. De l'autre, ils se font passer pour des mineurs afin de gagner la confiance de leurs victimes et de faciliter une rencontre. C'est ce second profil que le jeu de dupes numérique à la « Louise » peut attraper.

Mais utiliser de fausses identités demande un savant équilibre. En effet, juridiquement, les gendarmes n'ont le droit d'agir sous pseudonyme qu'après la validation d'un magistrat qui leur délivre un mandat individuel. Une fois un faux profil créé, chaque enquêteur doit se tenir à des principes très stricts au risque de fragiliser la procédure judiciaire. L'exercice répond à quatre règles fondamentales : ne pas faire d'incitation ou de provocation illégale (envoi de photo, relance, proposition de rendez-vous), ne pas usurper l'identité d'un enfant existant, ne pas partager ni conserver les contenus pédopornographiques reçus et enfin ne pas révéler d'information sur le pédocriminel (identité, adresse). Le respect de ces obligations légales permet aux magistrats d'avoir des preuves numériques fiables et au juge de saisir davantage la personnalité des suspects.

Cette procédure encadrée est efficace. Ainsi, dans le Loiret, après avoir échangé avec un profil fictif, un homme de 64 ans a été interpellé le 19 janvier 2023. Dans son matériel informatique, plus de 11 000 images pédopornographiques d'enfants âgés de 4 à 10 ans ont été trouvées. Grâce au travail rigoureux des enquêteurs sous couverture, la justice a pu se prononcer en moins de deux mois. Ainsi, en mars suivant, le criminel a écopé de 24 mois de prison ferme avec mandat de dépôt, assortis d'une obligation de soins psychiatriques. Il a également été inscrit au Fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS). Si la peine a été prestement prononcée, la question de son ampleur demeure : l'homme risquait en effet jusqu'à 5 ans de prison ferme pour détention d'images et représentations pédopornographiques.

L'appel à la vigilance par les unités de gendarmerie va croissant. Elles soulignent la multiplication des dangers auxquels font face les enfants sur internet. Selon leurs estimations, 4 % de la population aurait des tendances pédophiles (voir sources en lien). Afin de lutter contre les déviances sexuelles, plusieurs associations et initiatives émergent comme l'Ange bleu. D'après Latifa Bennari, sa présidente, la pédocriminalité est « un phénomène systémique et massif ». Le pire est qu'il n'existe aucun profil type de pédophile puisqu'on en trouve dans toutes les couches de la société. Son espoir ne vacille pas pour autant : « À force d'en parler, il y aura une prise de conscience quant au problème de fond qu'il y a dans nos sociétés modernes. »

La sélection
Lutte anti-pédocriminalité : les dessous de la traque des enquêteurs sous pseudonyme
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