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Crise humanitaire à Lampedusa : Giorgia Meloni sur la corde raide

Par Peter Bannister - Publié le 21/09/2023 - Image : Ursula von der Leyen et Giorgia Meloni à Lampedusa. Crédit photo : Wikimedia Commons / Riccardo De Luca / European Union, 2023 / EC - Audiovisual Service

Depuis une semaine, la présidente du conseil italien Giorgia Meloni se trouve sous les projecteurs des médias internationaux en lien avec la situation dramatique sur l'île de Lampedusa, à moins de 150 km de la Tunisie, où plus de 11 000 migrants sont arrivés en l'espace de quelques jours, principalement de l'Afrique subsaharienne. Ayant fait de l'immigration un point clé de sa campagne électorale, Meloni a dû infléchir son approche, avant tout sécuritaire, face à une réalité complexe qui la met dans une position très délicate, tiraillée entre ses responsabilités envers la communauté internationale et les attentes de son électorat de base ainsi que de ses partenaires dans la coalition au pouvoir.

Giorgia Meloni est issue du parti nationaliste-conservateur Fratelli d'Italia, souvent décrit comme « post-fasciste », mais qui fait partie au parlement européen du groupe CRE (Conservateurs et Réformistes Européens) plutôt que du groupe ID (Identité et Démocratie), plus à droite sur l'échiquier politique, auquel participent notamment le mouvement italien « Cinq Etoiles » ainsi que le RN français. Le programme électoral de Meloni et Fratelli d'Italia sur les flux migratoires a certes prôné une ligne très dure contre les migrants illégaux (promettant un « blocus naval » contre les bateaux transportant des migrants vers l'Italie et une lutte contre « les ONG qui favorisent l'immigration illégale »). Cependant, les propos de Meloni ont parfois échappé aux stéréotypes, notamment quand elle s'est positionnée en 2018-2019 en tant que pourfendeuse du néocolonialisme européen en Afrique, avant tout français. C'est par ailleurs avec Paris qu'elle connaîtra son premier incident diplomatique en tant que présidente du conseil en novembre 2022 quand l'Italie refuse de laisser accoster le bateau Ocean Viking de l'ONG SOS Méditerranée avec à bord 234 migrants secourus en mer. Décision vivement critiquée par la France, qui a accueilli l'Ocean Viking à Toulon le 11 novembre 2022, tout en suspendant l'accueil de 3 500 réfugiés en provenance d'Italie. Une mesure de rétorsion « incompréhensible et injustifiée » pour Meloni : son ministre de l'intérieur Matteo Piantedosi a souligné que les pays de l'UE avaient promis de prendre 8 000 des 90 000 migrants arrivés en Italie en 2022, mais qu'ils n'en avaient finalement accepté que 117…

Depuis, la politique migratoire de Giorgia Meloni se trouve sur la corde raide, comme le souligne une analyse détaillée publiée hier par La Grande Conversation. On note surtout l'évolution de la rhétorique électorale populiste vers une posture plus pragmatique. Si sa fermeté au sujet des migrants illégaux reste inchangée, Meloni a élargi les possibilités d'immigration légale (très importante pour l'économie d'une Italie en essoufflement démographique), prévoyant 452 000 nouvelles entrées entre 2023 et 2025. L'aspect le plus délicat de son approche est pourtant sa tentative d'établir, en collaboration avec l'UE, des partenariats avec les pays de l'Afrique du Nord en leur offrant de l'aide financière contre des efforts pour lutter contre les voyages clandestins vers l'Italie. Cette initiative a suscité des critiques de la part de ceux qui voient les régimes nord-africains comme des interlocuteurs peu recommandables, pour qui l'offre d'aide pourrait également créer des possibilités d'un chantage semblable à celui connu par l'Europe de la part de la Turquie par rapport aux migrants en 2020.

La crise humanitaire à Lampedusa cristallise les difficultés du programme de Rome. En juillet, Giorgia Meloni, Ursula von der Leyen et le néerlandais Mark Rutte ont signé un « partenariat stratégique » avec le président tunisien Kaïs Saïed, lui promettant un important soutien de la part de l'UE, dont une aide de 105 millions d'euros pour combattre l'immigration illégale. Les arrivées à Lampedusa en provenance de la Tunisie n'ont pourtant pas cessé de croître, tandis que la semaine dernière, le pays a refusé de laisser entrer une délégation de l'UE dont les membres avaient parlé des violations des droits de l'homme. On constate depuis un certain temps une poussée de xénophobie en Tunisie contre les migrants subsahariens, exacerbée par le président Saïed lui-même, qui a parlé d'un « plan criminel pour changer la composition du paysage démographique » tunisien.

Suite à ce refus apparent de collaborer avec l'UE, certains eurodéputés ont voulu suspendre l'accord avec la Tunisie, mais Ursula von der Leyen a préconisé sa mise en œuvre rapide, tout comme Giorgia Meloni, dans le cadre d'un plan d'action en 10 points. Dans ses efforts de satisfaire à la fois l'UE (ayant urgemment besoin de la solidarité internationale pour soulager la pression migratoire) et son propre électorat, la présidente du conseil italien se trouve clairement dans une course contre la montre. Une course dont le succès, et donc sa survie politique, dépendra en grande mesure de l'évolution imprévisible d'une catastrophe humaine très difficile à endiguer.

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La politique migratoire de Meloni : entre échec et volte-face
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