Politique

La convergence chinoise ou la dérive totalitaire de l'Occident libéral : la démocratie contre le peuple

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 02/09/2023 - Illustration : portrait du Président Woodrow Wilson (Shutterstock).

En l'an 2000, le Président américain Bill Clinton avait moqué les premières mesures chinoises visant à contrôler l'internet comme l'effort désespéré d'un régime totalitaire pour se maintenir au pouvoir. 20 ans après, le renversement est total : l'administration américaine a organisé avec l'appui des réseaux sociaux un système de censure inédit, révélé par les Twitter Files (voir LSDJ 1775). 2016 apparait comme l'année de la bascule : Donald Trump était élu aux États-Unis quelques mois après que les Britanniques eurent voté en faveur du « Brexit ». La guerre contre la « désinformation » a remplacé la guerre contre le terrorisme. Les grands médias n'ont pas hésité à réclamer des limites à la liberté d'expression pour protéger la « démocratie »  : « Il est temps pour les élites de faire front face aux masses ignorantes » titrait Foreign Policy en 2018.

Les « masses ignorantes » avaient mal voté. L'anxiété des élites dirigeantes ne date pas de 2016 rappelle N.S Lyons dans la seconde partie de son essai (voir en lien et LSDJ 1970). Cette défiance anti populiste était déjà évidente dans les écrits d'un professeur en sciences politiques nommé Woodrow Wilson à la fin du 19e siècle. Celui qui allait devenir Président des États-Unis de 1913 à 1921 écrivait en 1887 que la gestion d'un État moderne devait se défier des choix populaires. Il qualifiait même de « non-sens » les lignes sur les « droits inaliénables des individus » incluses dans la Déclaration d'Indépendance américaine. Wilson, influencé par le « darwinisme social » et l'eugénisme, était fasciné par les nouvelles théories politiques prussiennes mises à l'honneur par Bismarck. Parlementaire – mais aussi autoritaire – le système prussien était à la mode comme le plus « efficace » pour faire progresser une société. Il combinait des innovations sociales et techniques pour faire reculer la pauvreté et imposait l'éducation de masse – tout en menant une guerre culturelle implacable contre les forces de « réaction » - l'Église catholique en premier lieu. La Première Guerre Mondiale allait lui offrir le cadre idéal pour opérer un virage autoritaire. Il a par exemple été l'initiateur du premier impôt fédéral. Wilson a aussi fait arrêter plus d'opposants politiques entre 1917 et 1918 que Mussolini durant toutes les années 20… L'État gestionnaire devait prendre le pas sur la démocratie participative : les citoyens sont invités à voter et à s'exprimer mais toute opposition réelle n'est pas tolérée. La République Populaire de Chine est allée au bout de cette logique : elle est une démocratie selon sa constitution et affirme écouter le peuple chinois. C'est le concept de « démocratie consultative » et la différence entre la Chine et l'Occident libéral – surtout depuis l'épidémie du Covid - apparait plus comme une affaire de degrés que d'essence. « Si seulement nous pouvions être la Chine juste pour un jour et imposer les bonnes solutions » a soupiré l'éditorialiste du New York Times Thomas Friedman.

Mais les peuples sont obstinés, les individus si difficiles à contrôler… Il faut un « homme nouveau », convaincu de la bonne volonté des élites. Il existe un lien entre l'Amérique progressiste de Wilson et le Parti Communiste Chinois (PCC) : le philosophe américain John Dewey. Arrivé en Chine le 1er mai 1919, 3 jours avant le déclenchement du « Mouvement du 4 mai » qui allait devenir le PCC deux ans plus tard, il a profondément influencé les fondateurs du communisme à la chinoise qui l'ont qualifié de « nouveau Confucius ». Avant son séjour de deux ans en Chine, Dewey avait déjà œuvré pour changer radicalement le système universitaire américain : il fallait abandonner toute recherche de « vérité objective », puisque « le Bien est la construction de l'Homme ». Tout l'enseignement devait se concentrer sur le développement du raisonnement logique et scientifique. La « démocratie » pour Dewey n'était plus une forme de gouvernement mais un projet éthique passant exclusivement par le progrès scientifique et la transformation des individus. Pour les progressistes américains, le peuple chinois était merveilleusement « plastique », parfait pour mettre en pratique leurs théories de « rééducation douce ». Mao connaissait les fortes racines culturelles de son pays. Sa « réforme de la pensée » par l'endoctrinement et la terreur dès les années 50 devait transformer les Chinois en individus soumis et prêts à servir la machine étatique. Haro sur les livres, comme témoignages insupportables d'une histoire, qui étaient brûlés en place publique. La « cancel culture » en vogue en Occident ne nourrit pas des bûchers mais la pression s'accentue pour réécrire de plus en plus de livres…

La guerre contre « l'ennemi de l'intérieur » est propre à tout régime progressiste. Ceux qui s'opposent à la machine étatique sont des obstacles à éliminer : entre des miradors dans les pays communistes, derrière des barbelés virtuels dans les pays « libéraux ».

La sélection
The China convergence
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1 commentaire
Le 06/09/2023 à 07:12
C’est simple, clair pour l’analyse d’une société complexe multiforme, imprévisible ; « le génie est proche de la simplicité 
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