
Le contrôle des « terres rares » mine l'équilibre mondial
De nouvelles ressources minières sont au centre des rivalités internationales – comme les épices à l'âge des grandes découvertes ou le pétrole plus récemment. Une puissance montante a compris avant ses rivaux l'importance de cette ressource : la Chine, qui possède déjà, des mines de nickel à travers l'Asie du Sud-Est, des puits de cobalt en Afrique centrale, et un réseau de sites d'extraction du lithium, qui s'étend de l'Argentine au Zimbabwe, et à l'Australie occidentale. Pékin est partout ! Le Parti communiste chinois (PCC), poursuit depuis un demi-siècle une stratégie globale qui cible quelques métaux tels le lithium, le cuivre et le cobalt. En ce qui concerne les « terres rares » (désignation qui regroupe 17 minerais), la Chine peut profiter de ses propres sous-sols qui représenteraient la moitié des ressources mondiales. Deng Xiaoping, le leader du PCC dans les années 80 et l'architecte de la stratégie de l'ouverture au monde, avait prévenu : « Le Moyen-Orient a du pétrole, mais la Chine est riche en métaux rares ».
Aujourd'hui, la Chine contrôle toute la chaîne de ces précieux minerais, depuis les infrastructures nécessaires à leur extraction jusqu'à leur transformation : elle extrait 69% des minerais de terres rares. Les aimants de haute performance sont parmi les objets les plus importants, et la Chine contrôle 90% de cette production. Jusqu'à récemment, les pays occidentaux n'ont pas réagi – persuadés que la mondialisation allait changer le régime chinois. Que la Chine, déjà l'usine du monde, devienne la mine pour extraire les minerais nécessaires aux grandes firmes occidentales n'était pas vu comme une menace à long terme. La montée en puissance des politiques écologistes dans les pays occidentaux a renforcé cette volonté de ne pas chercher à concurrencer la Chine. Car les « terres rares » sont en fait abondantes mais difficiles à exploiter. Miner ces minerais est très polluant : l'utilisation massive d'acides ravage les terres rendues impropres à l'agriculture, et les réserves d'eau sont contaminées. Les Chinois l'ont d'ailleurs reconnu et ils cherchent à développer des solutions.
Il reste que leur quasi-monopole sur les « terres rares » est une arme économique majeure qui a déjà obligé l'administration Trump à être plus conciliante quant à leur volonté d'augmenter les droits de douane. Au début du mois d'avril, le ministère du Commerce chinois a imposé des restrictions sur l'exportation de 7 minéraux très recherchés par les firmes occidentales qui produisent des « smartphones », des serveurs dédiés à l'intelligence artificielle, des voitures électriques… Pékin a ciblé les minerais nécessaires à la production d'aimants de haute performance – sachant que les constructeurs d'automobiles n'ont que pour 3 à 6 mois de stocks. Dans le camp occidental, la pression monte et l'Australie a pris un rôle majeur avec la société minière Lynas – la plus importante hors de Chine. Le ministère américain de la Défense considère que l'accès libre aux terres rares est un objectif stratégique pour 2027. Lynas prévoit l'ouverture d'un site en Malaisie en 2025 et au Texas en 2026. Des territoires inexploités sont prometteurs dont le Groenland, qui aiguise les appétits américains. Les Chinois savent que leur monopole ne va pas durer : ils s'attendent à voir leur part mondiale tomber à 28% de l'offre de terres rares en 2035.
Cette perspective peut sembler rassurante car elle annonce la fin d'une dépendance pour les pays occidentaux. Mais on peut aussi compter sur une montée dangereuse des tensions d'ici 2035 car la Chine sait qu'il lui reste peu de temps pour profiter de cet avantage majeur. Ces minerais sont des ressources militaires stratégiques. Le fluorure d'yttrium est essentiel à la production de moteurs à réaction. Le terbium permet aux radars de détecter les sous-marins… Le dysprosium est contenu dans les aimants qui assurent à un missile antinavire d'atteindre sa cible… La liste des applications militaires est longue. Les yeux se tournent donc vers Taïwan, cible affichée du Parti communiste chinois. Signes de la nervosité dans la région, le Japon a annoncé des exercices d'évacuations massives de l'île d'Okinawa qui héberge une base américaine. Et qui est à mi-distance entre Taïwan et l'archipel nippon. Les incidents sont courants dans la mer autour de l'île rebelle entre aéronefs et navires. Pete Hegseth, le Secrétaire d'État américain à la Défense, a promis en mars dernier l'ouverture d'un nouveau « quartier général de combat » au Japon. La firme spatiale SpaceX d'Elon Musk va mettre en orbite géostationnaire le nouveau satellite de communication Astranis – juste au-dessus de Taïwan. Une précaution pour contrer tout « black-out » dans le cadre d'une invasion. Le champ de bataille ukrainien peut être inclus dans cette géopolitique des terres rares : Donald Trump entend mettre la main sur les sous-sols riches en lithium et autres minerais avant les Chinois, et en laissant sans doute, les Russes exploiter ce qui se trouve dans les territoires conquis du Donbass…
