Consensus vs complotisme : le rapport Bronner s'attaque à la désinformation en ligne
Éducation

Consensus vs complotisme : le rapport Bronner s'attaque à la désinformation en ligne

Par Louis Daufresne - Publié le 21/01/2022
Le 11 janvier, la commission Bronner sur la désinformation et le complotisme remit son rapport au président Emmanuel Macron. Ce groupe de 14 experts, piloté par le spécialiste de sociologie cognitive Gérald Bronner, était chargé « d’établir (…) l’état des connaissances sur les désordres informationnels à l’ère numérique et sur les perturbations de la vie démocratique qu’ils engendrent et, deuxièmement, de proposer des recommandations pour y faire face ».

Cette réflexion s’intitule Les Lumières à l’ère numérique. Le titre étonne par son anachronisme. S’agit-il de faire prendre à Voltaire et Rousseau nos autoroutes de l’information mais que recouvrirait cette initiative fantaisiste et qui pourrait-elle intéresser ? Il s’agit plutôt de faire valoir un postulat idéologique : vu comme le fondement de notre société, ce courant philosophique du XVIIIest présenté comme la seule référence admissible et indépassable. Ce faisant, la commission instaure un clivage : d’un côté, il y a le camp du bien, du progrès et de la rationalité et de l’autre, l’axe du mal, fait de théories du complot, d’obsessions pathologiques et d’intentions de nuire. Ce clivage a quelque chose de gênant car il fleure l’embrigadement et discrédite la démarche scientifique. Comme l’écrit Aliénor Barrière, la commission Bronner ressemble à « une sainte inquisition de Ceux qui Savent : les Sachant contre les opinions "porteuses d’une face sombre" ». Un État peut-il partir en croisade contre des barbares de l’info ou présumés tels ? En tout cas, le rapport lui fournit des recommandations.

Certaines sont recevables, en particulier celles sur les logiques algorithmiques.

De quoi s'agit-il ? Le biais de popularité conduit les algorithmes à privilégier les contenus fournis par les comptes les plus suivis. Dès lors, il faut « permettre aux utilisateurs de mieux se représenter l'état du réseau et la prévalence réelle des opinions en désactivant par défaut les métriques de popularité et l'éditorialisation algorithmique ». 70% des vidéos visionnés sur YouTube « sont regardées en raison de la recommandation de l’intelligence artificielle de la plateforme ». La commission Bronner pointe « la puissance de prescription éditoriale des grands opérateurs du web »L’info sur la toile n’est pas si dérégulée que le public pourrait le penser. Il n'y a pas d'un côté l'information officielle, relayée par les media traditionnels, qui serait fausse ou cadenassée, et de l'autre, celle des francs-tireurs du net qui serait libre et pure de toute arrière-pensée.

Après, le rapport suggère d’« encourager » une surveillance accrue des plus gros influenceurs par les plateformes elles-mêmes « afin de les responsabiliser ». La commission estime qu’il faut veiller à ce que « sur certains sujets fermement établis, le classement algorithmique n'induise pas en erreur le public sur l'état réel des connaissances » et que la visibilité donnée aux contenus reflète le « consensus » scientifique existant. Qu’est-ce qu’un sujet fermement établi à l’ère de la mobilité intellectuelle ? Quant au consensus, s’il prévaut en Corée du nord, est-il compatible avec une société ouverte ? L’antidote au complotisme n'est pas le consensus mais le débat. Celui-ci doit s’exercer de manière honnête, contradictoire, les deux parties devant disposer d’une parité de moyens et d'une exposition équivalente. C’est le refus du débat qui nourrit complotisme.

Le consensus se brise d'ailleurs sur une autre recommandation du rapport, celle sur l'éducation aux media et à l’information. Les experts proposent de faire du développement de l'esprit critique « une grande cause nationale ». Pourquoi pas ? Mais comment faire éclore une pensée qui doute s’il s’agit de promouvoir le consensus imposé d’en haut ? La commission souhaite même « établir une cartographie des difficultés cognitives les plus fréquemment rencontrées chez les élèves » ! 



D’autres recommandations sont d’ordre punitif. La commission veut promouvoir « l'investissement publicitaire responsable »L'épithète est codée : « responsable » signifie « autorisé ». Le but, c'est que la publicité en ligne ne vienne pas financer les sites jugés toxiques. Des listes noires sont déjà établies par NewsGuard, Global Disinformation Index ou Storyzy. Quelle est la légitimité de ces acteurs ? Le rapport désire aussi engager la responsabilité civile d'un internaute diffusant de mauvaise foi une fausse nouvelle préjudiciable, en prenant en compte « le niveau (...) de popularité numérique de son auteur ». 



Le rapport Bronner ne définit pas vraiment le complotisme. Surtout celui d'en haut, émanant des élites et des États. Un seul exemple, pas si vieux que ça : quand les États-Unis affirmèrent à tort et délibérément que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massives et qu’il fallait lui faire la guerre pour cette raison, des populations entières subirent les conséquences de ce complotisme-là.



Et des media américains jugés très « responsables » avaient mis toute leur puissance au service de cette infox. 

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