Ces cabinets de conseil implantés aux commandes de l’État
Politique

Ces cabinets de conseil implantés aux commandes de l’État

Par Philippe Oswald - Publié le 23/02/2022
C’est un livre-enquête dont le gouvernement, en particulier le ministre de la Santé, se serait bien passé. Dans « Les Infiltrés. Comment les cabinets de conseil ont pris le contrôle de l'État » (Allary Editions), les journalistes Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre révèlent l’ampleur de l’implantation de cabinets privés, généralement anglo-saxons (McKinsey, Accenture, Boston consulting group, Cap Gemini), au sein des ministères et de l’administration publique. La situation n’est pas nouvelle, elle remonte à une vingtaine d’années. Rien que pour l’année 2019, l’État aurait payé près de 800 millions d’euros à des cabinets de conseil selon la Fédération européenne des associations en conseil en organisation. Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre évaluent quant à eux entre 1,5 milliard et 3 milliards d’euros par an la dépense annuelle du gouvernement en cabinets de conseil. Mais cette dépense a pris une ampleur jamais atteinte avec la crise sanitaire : le cabinet de conseil américain McKinsey (33 000 salariés, 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires), surnommé « La Firme », s’est taillé la part du lion au ministère de la santé qui lui a délégué des missions essentielles de la politique sanitaire, et tout particulièrement de la stratégie vaccinale. « Son implication aux côtés du gouvernement va rester l’un des secrets les mieux gardés de la République pendant presque un an », écrivent les auteurs qui dénoncent un « suicide assisté de l’État ».

Dès le début de la crise sanitaire, le ministre de la Santé Olivier Véran fera « plancher » devant les directeurs des agences régionales de santé et les responsables de grands hôpitaux un consultant de McKinsey (Maël de Calan, HEC, Sciences Po, fils d’une figure du patronat français, devenu « partenaire associé » de McKinsey après avoir été aux côtés d’Alain Juppé chez les Républicains). But de la séance : exposer le plan de vaccination du gouvernement et son calendrier. L’identité d’un autre dirigeant de McKinsey jette une suspicion sur l’indépendance et l’objectivité de la stratégie sanitaire de l’exécutif : Victor Fabius, directeur associé du cabinet McKinsey, est le fils du président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius. En validant le 5 août dernier l’extension du passe sanitaire, le Conseil constitutionnel (qui se prononce sur la conformité des lois à la Constitution) n’aurait-il pas entériné le plan de McKinsey ?

Alors que l’enquête des deux journalistes était en cours, la révélation en janvier 2021 par le site Politico que le gouvernement avait eu recours au cabinet américain McKinsey pour concevoir et mettre en œuvre la stratégie vaccinale, avait alerté des parlementaires. À l’Assemblée nationale, Véronique Louwagie (LR, experte comptable et commissaire aux comptes), avait fini par obtenir du ministère de la Santé le détail des contrats signés. Elle avait appris ainsi que le gouvernement avait fait appel à sept cabinets de conseil entre le 12 mars 2020 et le 4 août 2021 : au total 47 commandes pour un montant de 25 millions d’euros. À son tour, le Sénat devrait publier à la mi-mars un rapport de la commission d’enquête sur l’influence des cabinets de conseil dans différents ministères. Une vingtaine d’auditions ont révélé d’inquiétants flottements : devant la commission d'enquête du Sénat, Karim Tadjeddine, directeur associé du bureau parisien de McKinsey, n’a pas su répondre aux questions sur la nature d’une mission pour l’Éducation nationale payée 496 800 euros pour « évaluer les évolutions du métier d’enseignant ». Mais avec la crise sanitaire, le ministère de la Santé reste en première ligne des dépenses. Dans l’urgence, le ministère a signé au moins une cinquantaine de contrats pour se faire aider. « Pour la crise Covid, c’est 25 millions d’euros sur 30 milliards de dépenses qui sont consacrés à du cabinet de conseil », a reconnu le ministre de la Santé, Olivier Véran, le 16 février dernier sur France Info.

Pour se tirer d’embarras, l’exécutif vient d’annoncer par la voix de Gabriel Attal (BFMTV, 18 février) la création d’un… « cabinet de conseil de l’État en interne » ! Faire travailler les crânes d’œuf de notre pléthorique administration plutôt que de payer rubis sur l’ongle des cabinets anglo-saxons aux frais des contribuables, il fallait y penser ! L’exécution de cette riche idée est confiée à la ministre de la Fonction publique, Amélie de Montchalin. Elle a promis de faire baisser dès cette année d’au moins 15% les dépenses sur les conseils en stratégie et en organisation pour l’ensemble des ministères. À suivre !
La sélection
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"Un putsch progressif" : comment les cabinets de conseil se sont installés au cœur de l’État
RMC/BFMTV
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