Ce «  Qatargate  » qui ébranle le Parlement européen
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Ce «  Qatargate  » qui ébranle le Parlement européen

Par Philippe Oswald - Publié le 17/12/2022 - Photo : Le ministre du travail de l'émirat du Golfe, Ali bin Samikh al-Marri, lors d'une réunion avec la vice-présidente du Parlement européen, Eva Kaili, à Doha, le 31 octobre 2022. (Photo du ministère du travail du Qatar / AFP)
C'est un scandale sans précédent au sein de l'Union Européenne. Une affaire levée par les enquêteurs de l'Office central pour la répression de la corruption (OCRC) a pour figure principale l'un des 14 vice-présidents du Parlement européen, l'eurodéputée grecque Eva Kaili, incarcérée pour "corruption", "blanchiment d'argent" et " association de malfaiteurs " le dimanche 11 décembre. Les corrupteurs seraient au Qatar mais aussi au Maroc, deux pays "vedettes" de la Coupe du monde de football pour lesquels cette contre-publicité tombe au plus mauvais moment. Elle est surtout particulièrement fâcheuse pour le Parlement européen où l'on aime se draper de vertu, par exemple en brandissant la menace de priver la Hongrie de 13 milliards d'euros de fonds communautaires... au nom de la lutte contre la corruption.

À l'aube du vendredi 9 décembre, des enquêteurs de l'OCRC interpellent Francesco Giorgi, le compagnon d'Eva Kaili qui sortait de leur domicile, et saisissent son téléphone portable. S'ensuit une quinzaine de perquisitions dans le milieu européen de Bruxelles, notamment aux domiciles d'Eva Kaili et de l'ex-eurodéputé et président de Fight impunity, Pier Antonio Panzeri. Nouveau coup de théâtre à la mi-journée de ce vendredi 9 décembre, les policiers interceptent à la sortie d'un hôtel à Bruxelles le père d'Eva Kaili porteur d'une valise bourrée de billets de banque : 600 000 euros ! Ces flagrants délits ont permis de contourner l'immunité parlementaire d'Eva Kaili. Elle a été inculpée et placée sous mandat d'arrêt par le juge d'instruction Michel Claise, ainsi que son compagnon Francesco Giorgi et Pier-Antonio Panzeri, décrit comme le véritable "parrain" d'une organisation criminelle financée par le Qatar pour influencer des décisions politiques et économiques du Parlement européen.

Membre du mouvement démocrate et progressiste italien Articolo Uno, Panzeri n'a pas seulement présidé la délégation pour les relations avec les pays du Maghreb, mais aussi la sous-commission des droits de l'Homme du Parlement. Il avait déjà fait l'objet d'une enquête de l'Office européen de lutte anti-fraude (Olaf) en 2016, et avait été condamné par le Tribunal de l'Union européenne à rembourser 83 764 euros. Autres "gros poissons" présumés dans les filets des enquêteurs ce jour-là, Luca Visentini, nouvellement élu à la tête de la Confédération syndicale internationale (incarcéré puis libéré sous condition le 11 décembre), et l'eurodéputé belge Marc Tarabella (PS) qui s'était distingué par ses interventions en faveur du Qatar à l'approche de la Coupe du monde.

Les policiers ont également perquisitionné les domiciles et bureaux d'assistants parlementaires, de fonctionnaires européens, de lobbyistes, d'associations...Bilan : près d'un million et demi d'euros en argent liquide et divers "cadeaux" rien qu'aux domiciles d'Eva Kaili, et de Pier Antonio Panzeri... Mais les enquêteurs ne tombent pas des nues : le parquet fédéral préparait cette opération anti-corruption ultra-sensible depuis le mois de juillet dans le plus grand secret. D'importantes données informatiques ont aussi été saisies au cours des diverses perquisitions. Celle effectuée dans les bureaux de l'eurodéputé PS Marc Tarabella, a contraint la présidente de l'hémicycle, Roberta Metsola, à revenir d'urgence de Malte pour y assister, comme l'exige la Constitution belge en cas de perquisition chez un parlementaire européen élu en Belgique. Comme Eva Kaili, Francesco Giorgi et Pier Antonio Panzeri ont été inculpés et écroués de façon préventive pour corruption, blanchiment et organisation criminelle.

Jeudi 15 décembre, à Bruxelles, lors du sommet européen, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola a souligné la gravité de l'affaire en cours devant les chefs d'État ou de gouvernement des États membres : "La semaine a été difficile à Bruxelles, a-t-elle expliqué dès le début de son allocution. Permettez-moi de dire que les informations que nous avons reçues des autorités belges indiquent qu'il existe de sérieux soupçons sur des personnes liées à des gouvernements autocratiques, trafiquant d'influence d'une manière dont nous soupçonnons qu'elle est destinée à maîtriser nos processus." "Ce qui importe maintenant, c'est la réaction, qui doit être sérieuse et décisive et dont dépend la crédibilité de l'Union", lui a répondu la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, ajoutant que l'Italie "demandera à faire toute la lumière sur ce qui se passe". Il se pourrait que cette affaire tentaculaire encourage ceux qui, telle l'eurodéputée française Michele Rivasi (Groupe des Verts/Alliance libre européenne), interpellent la commissaire chargée de la transparence au sujet des conditions dans lesquelles la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a commandé des vaccins anti-Covid à Albert Bourla, PDG de Pfizer. Autre affaire à suivre !
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“Qatargate”, de la morale à la corruption
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