Société

Bill Gates ou le mythe du « bon milliardaire »

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°2158, Publiée le 02/04/2024 - Photo : Bill Gates, le 11 octobre 2023, à Bruxelles (Alexandros Michailidis/Shutterstock).

Qui est Bill Gates, l'un des hommes les plus riches de la planète ? Un innovateur génial doublé d'un businessman féroce qui va tout faire pour éliminer la concurrence, ou un philanthrope ayant sauvé des millions de vies ? Le journaliste d'investigation Tim Schwab vient de publier le livre The Bill Gates problem qui dresse un portrait sans concessions du milliardaire. UnHerd l'a interviewé pour déconstruire le mythe…

L'histoire officielle veut nous présenter un visionnaire sans scrupules qui a conduit Microsoft à un succès planétaire – avant de prendre son « chemin de Damas » après le procès intenté par le gouvernement américain à la fin des années 90 pour contrer son emprise tentaculaire sur l'industrie de l'informatique. Peu de temps après, la Gates Foundation a été créée en 2000 pour investir une partie de son immense fortune dans l'humanitaire. On parle d'une seule et même personne, insiste Schwab. Son succès avec Microsoft a persuadé Gates qu'il pouvait influencer la conduite du monde. Il est sincère – dans son hubris – en pensant œuvrer pour le bien de tous. Mais – de Microsoft à la Gates Foundation – sa méthode reste identique : prendre le contrôle et briser toute opposition. Car, derrière la vitrine philanthropique, Gates cherche à influencer les politiques de santé et d'éducation pour ensuite prétendre à une expertise de premier plan sur la lutte contre le réchauffement climatique ou le besoin de légiférer sur l'intelligence artificielle.

Ses dons constituent en réalité des investissements pour gagner en influence. Les montants sont tellement énormes qu'il s'est arrogé une forme de monopole concernant par exemple les politiques de lutte contre la malaria et la tuberculose, ou la stratégie agricole en Afrique. La Gates Foundation ne demande pas à ses bénéficiaires ce dont ils ont besoin : son armée de consultants et d'experts décident depuis une salle de réunion ultra-moderne de la stratégie à adopter. Pour ensuite abonder les comptes d'ONG, d'universités, de médias et s'assurer ainsi d'un soutien quasi-total.

Gates Foundation est une organisation à but non lucratif et n'est donc pas une source de profits pour son fondateur. Il y a néanmoins un conflit d'intérêt : la fondation milite ardemment pour le droit des laboratoires pharmaceutiques à breveter leurs produits. Or, la prospérité de Microsoft repose sur le respect du droit des propriétés intellectuelles. On retrouve une même ligne idéologique, typique du néo-libéralisme de Bill Gates : la primauté du secteur privé qui va influencer la politique via des partenariats avec les gouvernements et la conviction que tout peut être résolu par la technologie…

Bill Gates ne conçoit aucune politique de santé publique sans les vaccins qu'il qualifie de « miracles ». Cette fascination n'est pas étonnante tant leur commercialisation ressemble à celle des logiciels : on investit beaucoup dans la recherche pour ensuite fabriquer et distribuer en masse et à coûts réduits. Des dizaines de milliards de dollars ont été dépensés par la Gates Foundation pour fournir plus d'un milliard de doses aux plus pauvres. C'est donc un bénéfice pour les pays en voie de développement mais c'est aussi une vision étroite de la santé publique qui se focalise sur les grands laboratoires en ignorant les problématiques publiques comme la formation des médecins, la construction de routes, etc.

Or, les dons levés pour financer ces campagnes de vaccinations viennent des contribuables sans réel contrôle des gouvernements. C'est un autre paradoxe : Gates Foundation lance les projets mais c'est de l'argent public qui va ensuite les soutenir. La philanthropie de Gates pose donc un problème fondamental pour toute démocratie : le manque de transparence et de responsabilité puisqu'il influence directement des gouvernements élus. On risque de se retrouver dans un monde où les politiques sont dictées par un microcosme de milliardaires…

Le cas de la Gates Foundation doit faire réfléchir sur la gestion publique de « l'extrême richesse ». Bill Gates détient 117 milliards de dollars sur son compte personnel. Que faire de cet énorme surplus d'argent ? Avec un ego surdimensionné, on en vient à vouloir l'utiliser pour acquérir du pouvoir. Le système capitaliste est réformable : la lutte contre les monopoles est une priorité qui semble passée de mode. Comment affirmer la puissance publique face aux multinationales si les droits commerciaux font fi des frontières ? Et d'ailleurs, Bill Gates est-il si efficace dans ses projets ? La campagne de vaccination anti-Covid dans les pays pauvres a été un échec retentissant… Ses projets de transformer l'agriculture en Afrique aussi – en cherchant à imposer depuis 20 ans un modèle industriel peu adapté au continent. Les bénéficiaires africains remettent en cause la stratégie. Mais la Gates Foundation ignore ces appels pour l'instant. À l'image des grands monopoles marchands du XVIIe siècle, elle colonise les rivages qu'elle prétend développer.

La sélection
Busting the Bill Gates myth
Voir l'entretien sur UnHerd
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