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Après deux ans de guerre en Ukraine, quelle stratégie pour l'Occident ?

Par Peter Bannister - Publié le 01/03/2024 - Photo : Arrivée à la conférence de soutien à l'Ukraine au Palais de l'Elysée, le 26 février 2024 (crédit : Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP).

Deux ans après l'invasion de l'Ukraine par les forces russes le 24 février 2022, il semble clair que nous assistons à un tournant dans le conflit, au moins au niveau diplomatique. En témoignent les très vives réactions françaises et internationales aux paroles d'Emmanuel Macron lors de la conférence parisienne de soutien à l'Ukraine, n'excluant pas la possibilité d'y envoyer des troupes au sol afin d'empêcher la Russie de gagner la guerre. Pour certains, ses propos ont envoyé un signal fort au Kremlin tout en restant dans l' « ambiguïté stratégique » ; par contre, pour l'opposition (RN comme LFI), Macron fait un pas irresponsable vers la guerre. Pour d'autres encore, il a surtout fait preuve d'une grande maladresse envers ses partenaires occidentaux. La diplomatie française se retrouve presque seule, étant donné que beaucoup de pays (dont les États-Unis, l'Allemagne, l'Italie et la Pologne) ainsi que l'OTAN ont fermement rejeté l'engagement de forces terrestres en Ukraine – sans qu'un pays de l'Alliance soit directement attaqué par la Russie, casus belli sous l'article 5 du Traité de l'OTAN. Diverses options militaires ont néanmoins bien été examinées à Paris, motivées sans doute par une grande inquiétude face à la situation à l'Est, ainsi que par la possibilité d'un retour de Donald Trump à la Maison Blanche qui pourrait mener à un désengagement, voire à une sortie directe des États-Unis de l'OTAN, laissant les gouvernements européens organiser leur propre défense.

Plusieurs développements récents ont contribué à l'impression chez beaucoup de commentateurs que c'est désormais Vladimir Poutine qui tiendrait l'initiative sur l'échiquier. Au niveau domestique, son pouvoir s'est visiblement consolidé suite à la mort de son opposant le plus notoire Alexeï Navalny et l'éradication effective de toute résistance politique organisée en Russie (dans le sillage du décès de Navalny, le Prix Nobel de la Paix Oleg Orlov a été condamné à 2 ans et demi de prison). Les élections présidentielles du mois de mars ne sont qu'une formalité et rien n'indique que Poutine devrait quitter la présidence avant 2036. Sur le terrain, la chute de la ville (fantôme) d'Avdiivka a donné à l'armée russe son premier succès depuis des mois. Pour l'Ukraine, ses espoirs liés à la contre-offensive de l'été 2023 se sont évaporés depuis longtemps. Elle se trouve désormais en manque critique de munitions, comme l'a souligné le leader du Sénat américain Chuck Schumer lors d'une visite surprise chez Volodymyr Zelensky, appelant les Républicains à débloquer 95 milliards de dollars d'aide pour Kiev.

Le Kremlin a d'ailleurs clairement réitéré ses objectifs, qui vont visiblement plus loin que le simple maintien des régions ukrainiennes déjà annexées ; il est évident que Moscou veut changer le régime à Kiev, qu'il considère comme étant en « agonie », comme l'a dit le porte-parole de l'Ambassade russe en France Alexander Makogonov. Lors d'une réunion filmée avec des représentants des médias russes, l'ancien président Dmitri Medvedev a non seulement évoqué la nécessité d'attaquer Kiev dans l'avenir, mais a également souhaité le « retour » de la ville « russe » d'Odessa sur la Mer Noire. Medvedev est certes connu pour sa rhétorique outrancière, surtout sur X/Twitter, où la virulence de ses posts a donné lieu à des spéculations sur l'influence de sa consommation d'alcool. Ses dernières remarques ont également été ridiculisées par le porte-parole de la Commission Européenne Peter Stano, qui a conseillé à Medvedev d'aller voir un professionnel de la santé mentale. Cependant, ses propos au sujet de Kiev et d'Odessa ont été dits calmement au cours d'une longue discussion officielle : même s'il s'agit de la pure propagande, le discours de Medvedev — n°2 du Conseil de sécurité russe — reste important dans la mesure où il constitue un message du régime pour les Russes.

L'évocation de la ville d'Odessa n'est peut-être pas sans lien avec la situation actuelle un peu plus à l'ouest en Transnistrie. Cette région séparatiste à l'est de la Moldavie est de facto indépendante depuis 33 ans (sans être reconnue internationalement) et a voté en 2006 pour rejoindre la Russie qui y maintient 1 500 à 2 000 soldats. Le 28 février, un congrès des 620 députés de la Transnistrie a eu lieu pour la première fois depuis 18 ans et a appelé Moscou à « protéger » la région contre une « guerre économique » de la part de la Moldavie. Si des opposants avaient plutôt craint que la région ne fasse une demande directe d'adhésion à la Russie, la déclaration du congrès reste inquiétante dans la mesure où le langage de la « protection » des russophones ressemble fortement à celui employé dans le Donbass dans les semaines avant l'invasion de février 2022. On verra dans les prochains mois s'il s'agit uniquement d'un coup de propagande de la part des séparatistes, ou si leur déclaration fait partie d'une stratégie de déstabilisation progressive de la Moldavie (qui parle déjà de « guerre hybride ») afin de préparer une intervention militaire russe au moment voulu.

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Guerre en Ukraine : Dmitri Medvedev évoque la prise de Kiev comme un objectif possible de la Russie
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5 commentaires
Le 03/03/2024 à 09:57
C'est aux russes de stopper la paranoïa de Poutine et sa folie meurtrière, la mort de Navalny risque de lui être fatale et je l'espère bien sincèrement. En règle générale, la vie d'un dictateur se termine souvent comme elle a commencé.
Le 03/03/2024 à 09:56
C'est aux russes de stopper la paranoïa de Poutine et sa folie meurtrière, la mort de Navalny risque de lui être fatale et je l'espère bien sincèrement. En règle générale, la vie d'un dictateur se termine souvent comme elle a commencé.
Robert
Le 02/03/2024 à 19:07
Poutine a dit que le démembrement de l'URSS avait été une catastrophe pour le pays. Il a gardé cette nostalgie et ne s'arrêtera pas au Donbass et visera Kiev, les Pays Baltes, la Moldavie, la Transnistrie etc. Sauf si on s'oppose fermement à lui et si en même temps on lui donne des garanties de ne pas avoir l’Otan à quelques centaines de kms de Moscou.
Robert
Le 02/03/2024 à 19:07
Poutine a dit que le démembrement de l'URSS avait été une catastrophe pour le pays. Il a gardé cette nostalgie et ne s'arrêtera pas au Donbass et visera Kiev, les Pays Baltes, la Moldavie, la Transnistrie etc. Sauf si on s'oppose fermement à lui et si en même temps on lui donne des garanties de ne pas avoir l’Otan à quelques centaines de kms de Moscou.
Jean-Marie
Le 02/03/2024 à 14:49
Si certains en Occident pensent que Poutine va s'arrêter à L'Ukraine en cas de conquête par les armes, ils se trompent. D'après sa position antérieure à la guerre il a toujours dit que l'Ukraine était un territoire Russe comme du temps de l'empire soviétique.
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