Sciences

Il y a 25 ans, on découvrait l'énergie noire

Par Janus Maat - Publié le 06/01/2024 - Photo : Janus Maat

« J'essayais de calculer la densité de matière au travers de la mesure de l'expansion de l'Univers, et j'obtins un chiffre... négatif. J'avais beau vérifier et revérifier tous mes calculs, les vitesses de chacune des supernovas mais rien n'y faisait. La seule solution était que l'Espace vivait une phase d'expansion accélérée, et qu'une nouvelle forme d'énergie, aussi mystérieuse qu'inconnue, dominait l'Univers. »

C'est avec ces mots qu'Adam Riess, prix Nobel 2011 nous répond suite à notre invitation pour une conférence célébrant les 25 ans de sa découverte. Cette nouvelle forme d'énergie, les physiciens l'appellent « énergie noire », ce qui reflète assez bien leur niveau d'incompréhension. Elle porte aussi parfois le nom de « quintessence » en référence au cinquième élément introduit par les grecs anciens, et complétant le quatuor air, eau, feu et terre.

Mathématiquement, son effet est comparable à de l'antigravité. C'est une forme de matière qui possède une pression négative. Einstein l'avait introduite dans ses équations en 1917, sous le nom de « constante cosmologique ». Elle permettrait à Einstein de décrire un Univers qu'il pensait à l'époque statique. Sa pression négative, bien ajustée, lui permettait alors de contrebalancer l'attraction entre les corps célestes, empêchant de fait un effondrement gravitationnel de l'Univers sur lui-même. Malheureusement pour lui, les travaux d'Alexandre Friedmann et Georges Lemaitre, puis les observations d'Edwin Hubble en 1929 ont mis à mal cette vision d'un Univers statique. Il reconnaîtra plus tard qu'introduire cet élément chimérique à pression négative fût « la plus grande erreur » de sa vie. Et pourtant, l'histoire lui donnera raison 80 ans plus tard avec la découverte de Riess.

Mais comment se comporte un élément doué d'une pression négative  ? Si vous plongez dans une piscine, vous sentez au fur et à mesure que vous vous approchez du fond, la pression qui vous entoure augmenter. Elle agit comme un poids sur votre corps, le poids de l'eau au dessus de votre tête. L'eau, tout comme l'air ou tout fluide sur Terre possède une pression positive. Dans le cas de l'énergie noire, c'est le contraire. Plus vous plongez dans ce fluide mystérieux, moins la pression est forte, et plus elle vous étire. L'effet de la pression négative corresponde à un étirement de l'espace lui même entre deux objets. Et plus vous avez de ce fluide entre deux étoiles, plus elles s'éloignent l'une de l'autre. L'effet est donc similaire à de l'antigravité, mais c'est fondamentalement la structure de l'espace qui se dilue au fur et à mesure qu'il se remplit de ce cinquième élément.

Comment Adam Riess et ses collaborateurs ont-ils observé cette dilatation ? En mesurant la vitesse d'éloignement d'étoiles en pleine explosion, appelées supernovas. Ces dernières ont une propriété qui permet de déterminer avec précision leur position dans l'espace. En remontant le fil de l'histoire de l'Univers des quelques derniers milliard d'années (plus une étoile est lointaine, plus la lumière qu'elle a émise a mis du temps à nous parvenir, et donc plus elle appartient au passé), Riess observa qu'il y près de 5 milliard d'année, à l'époque où le Soleil et la Terre faisaient leurs apparition, notre Univers est entré dans une phase d'expansion accélérée exponentiellement, à la manière d'un nouveau Big Bang. Alors qu'on s'attendait à ce que l'Univers ralentisse son expansion, à la manière d'une balle lancée en l'air ralentit sa course avec le temps, tout se passait comme si la balle, au bout de 5 mètres, commençait à accélérer et à s'éloigner de plus en plus rapidement de nous. Newton aurait observé ce phénomène, il n'aurait pas su quoi en penser. Quant à Einstein, il aurait été ravi de voir renaître son idée de constante cosmologique à pression négative.

De plus, plus l'espace se dilue, plus ses interstices se remplissent d'énergie noire, le faisant se diluer d'avantage, pour le remplir à nouveau… Ce tonneau des danaïdes est un cycle sans fin qui mène inéluctablement à un futur peu joyeux : un déchirement exponentiel de l'espace (et du temps) dans un futur qui se compte en milliard d'années. Notre galaxie, qui aura été rejointe par sa voisine Andromède, sera alors bien seule, tout le reste de l'Univers s'éloignant d'elle à des vitesses supérieures à celle de la lumière, et le rendant donc totalement opaque aux yeux des futurs chercheurs. Les dernières analyses du fond diffus cosmologique ont confirmé la présence de cette étrange forme d'énergie déjà 380 000 ans après le Big Bang, l'estimant à 70 % de l'énergie totale de l'Univers, énergie noire dont le but semble être d'étirer l'espace, pour s'y infiltrer, l'étirer et le remplir encore d'avantage. Vu le coût des énergies sur Terre, ce buffet énergétique « à volonté  » à de quoi faire rêver. Gageons que les futures générations sauront la maîtriser et l'utiliser à bon escient.

La sélection
L'énergie noire
Lire l'article sur le site du CEA
S'abonner gratuitement
Ajoutez votre commentaire
Valider
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS