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Tensions diplomatiques entre l'Ukraine et ses voisins à l'ouest : un danger pour Kiev ?

Par Peter Bannister - Publié le 03/10/2023 - Image : Wolodymyr Zelensky et le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, septembre 2022. Crédits photo : Wikimedia Commons / Bureau du premier ministre de la Pologne

L'automne s'annonce-t-il difficile pour Volodymyr Zelensky au niveau diplomatique ? Vincent Hervouët (Europe 1) va sans doute un peu loin en parlant d'un « week-end horribilis » pour le président ukrainien à cause de la victoire d'un candidat pro-russe aux élections en Slovaquie et des doutes sur la durabilité de l'aide américaine à l'Ukraine à cause d'une crise budgétaire à Washington. Cependant, ces derniers développements se sont produits dans un contexte plus général de tensions croissantes entre Kiev et ses alliés qui pourraient s'avérer problématiques pour l'Ukraine dans les mois à venir. Un bref examen de ses relations avec la Pologne – jusqu'à maintenant son partenaire militaire et humanitaire le plus fidèle en Europe Centrale – illustre bien la difficulté pour Zelensky d'entretenir le soutien pour l'Ukraine au moment où le conflit entre solidarité internationale et intérêts nationaux devient de plus en plus évident chez ses alliés.

Dans le cas de la Pologne (comme pour la Hongrie et la Slovaquie), la tension s'est cristallisée autour de la question de l'importation de céréales ukrainiennes et la menace éventuelle pour la production agricole locale. En mai 2023, l'UE avait temporairement accepté un embargo imposé par 5 de ses pays membres (Pologne, Hongrie, Slovaquie, Bulgarie, Roumaine) envers certaines denrées ukrainiennes (blé, maïs, colza, tournesol) afin d'interdire l'arrivée massive de ces produits sur leur marchés à des prix bradés. L'UE a décidé de lever l'embargo le 15 septembre, mais la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie l'ont maintenu unilatéralement, provoquant une vive réaction de la part de Kiev. Le 21 septembre, l'Ukraine a porté plainte contre ces pays à l'Organisation Mondiale du Commerce, tandis que Zelensky les a fustigés dans son discours à l'ONU : « certains pays feignent la solidarité avec l'Ukraine. Mais en faisant monter cette affaire autour des céréales ukrainiennes, ils font le jeu de Moscou ». Le premier ministre polonais Mateusz Marowiecki s'est offusqué, demandant à Zelensky de « ne plus jamais insulter les Polonais »  ; sans confirmer ni nier un lien avec le contentieux, il a par ailleurs annoncé que Varsovie ne fournirait plus de nouvelles armes modernes à Kiev, en ayant besoin pour sa propre armée.

Depuis, les deux côtés ont certes fait des efforts pour réparer cet incident diplomatique, craignant son exploitation par la Russie. Le président polonais Andrzej Duda a insisté que les propos au sujet des armes avaient été mal interprétés, tandis que les deux ministres de l'agriculture polonais et ukrainien ont essayé de trouver une solution qui permettrait à l'Ukraine d'exporter ses céréales vers les pays tiers. La situation reste néanmoins délicate, notamment en raison de la conjoncture politique en Pologne, où le gouvernement du parti souverainiste Droit et Justice (PiS) courtise les voix des agriculteurs dans sa campagne électorale serrée contre la Coalition Civique (KO) libérale de l'ancien premier ministre (2007-2014) et président du Conseil Européen (2014-2019) Donald Tusk. PiS présente ce dernier comme le candidat de Bruxelles et donc des intérêts étrangers qui menacerait la souveraineté de la Pologne. La presse polonaise pro-gouvernementale a même essayé d'attribuer la dureté inattendue des propos de Zelensky à des machinations politiques de la part de la France et l'Allemagne : la journaliste Dominika Cosic les a accusées d'avoir promis officieusement d'accélérer la candidature de l'Ukraine à l'adhésion à l'UE contre les efforts de la part de Kiev en faveur d'un changement de gouvernement à Varsovie. Ces spéculations ont été niées catégoriquement par le porte-parole du ministère des Affaires étrangères ukrainiennes, mais elles illustrent bien le climat diplomatique tendu entre les deux pays.

S'il peut être tentant de comparer la situation en Pologne avec celle des autres états (Hongrie, Slovaquie) impliqués dans la dispute avec Kiev, il faut souligner que leurs attitudes envers l'Ukraine sont loin d'être identiques. Robert Fico, récent vainqueur des élections en Slovaquie à la tête du parti SMER (gauche populiste), a ouvertement accusé Kiev d'être responsable pour le déclenchement de la guerre avec la Russie en 2014 ; on estime qu'il a savamment manié des sentiments nationalistes dans un pays où la nostalgie pour l'époque de la domination soviétique reste vive dans certaines couches de la société, et où 25 % de la population aurait encore une image positive de Vladimir Poutine. Quant au premier ministre hongrois Viktor Orban, qui a salué la victoire du « patriote  » Fico, son affinité de longue date avec le président russe et son opposition aux sanctions contre Moscou sont bien connues. En Pologne, au contraire, l'idée de Vincent Hervouët de l'existence d'une « faction pro-russe » qui pourrait gagner les élections est sans fondement, les deux principaux partis étant très hostiles au Kremlin. Néanmoins, si l'axe Kiev-Varsovie semble destiné à tenir, seul le temps dira si le reste de l'Europe Centrale le suivra.


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Pologne-Ukraine : la solidarité en question
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