Raoult et Gainsbarre : défis et pièges de la vulgarisation scientifique
Santé

Raoult et Gainsbarre : défis et pièges de la vulgarisation scientifique

Par Peter Bannister - Publié le 03/02/2022
« You’re under arrest, ‘cause you’re the best » a dit récemment le Pr Didier Raoult, invoquant Serge Gainsbourg pour expliquer ce qu’il voyait comme la jalousie de ses nombreux détracteurs. Exemple d’un style de communication parfois dérangeant mais typique du scientifique marseillais et qu’on peut voir soit comme un atout, soit comme son talon d’Achille. Ou les deux à la fois.

La stratégie médiatique de Raoult dans ses présentations sur la chaîne YouTube de l’IHU Méditerranée comporte deux niveaux. Il s’agit en partie d’expliquer des données scientifiques par un travail de vulgarisation, mais Didier Raoult sait aussi manier des références nettement moins académiques, surtout quand il parle en citoyen ou tacle ses adversaires (comme en citant « Gainsbarre » dans la présentation « Kill the winner »). Pour certains, cette habitude de jongler entre registres universitaires et populaires ne fait que confirmer son supposé manque de sérieux, tandis que pour d’autres la démarche de Raoult, désacralisant l’image du scientifique comme un grand prêtre de la connaissance, est perçue comme une bouffée d’oxygène.

Cette stratégie n’est certes pas sans risques. Il y a quelques jours, le Pr Raoult a relayé sur Twitter une vidéo du très controversé Idriss Aberkane réfutant « 18 mensonges » contre l’IHU Méditerranée. On peut demander s’il savait – comme semble le montrer Le Midi Libre – qu’Aberkane, conférencier d’un talent indéniable, est critiqué depuis 2016 pour une tendance à gonfler son CV à des fins médiatiques, notamment en exagérant ses qualifications en neuroscience. Est-ce que l’IHU a besoin de ce genre de défenseurs, certes très suivis, mais dont la citation pourrait contribuer à décrédibiliser l’institution qu’il essaie d’innocenter ? On peut comprendre le dilemme de Raoult dans la mesure où le grand public ne consultera pas nécessairement les papiers scientifiques qui constituent la vraie défense intellectuelle des travaux marseillais, tels que celui publié (en anglais, par ailleurs) dans Reviews in Cardiovascular Medicine. Mais est-ce qu'il faudrait pour autant avoir recours à n’importe quel porte-parole médiatique ? Surtout quand la polémique autour de tels influenceurs – même munis d'un certain charisme et d’arguments valables – peut faire écran à une réflexion sur les questions de fond.

Si on essaie de faire abstraction des contentieux personnels entre Raoult et ses détracteurs, on peut néanmoins citer quelques-unes de ces questions et esquisser des bribes de réponse.

Les études menées à Marseille en 2020 sur l’hydroxychloroquine [HCQ]/zinc/azithromycine étaient-elles légales ? Oui : le blâme de l’Ordre des médecins de Nouvelle-Aquitaine à l’égard du Pr Raoult parlait de promotion de l’HCQ « sans données scientifiques établies », non pas de prescription illégale, ni de charlatanisme.

Est-ce que l’efficacité du protocole marseillais a été démontrée ? Il paraît que oui : s’il est généralement reconnu que l’HCQ n’est pas utile en phase avancée du Covid-19, un tour d’horizon des 307 études publiées à ce jour semble favorable à son usage en phase précoce/ambulatoire. Parmi ses partisans figurent notamment le Pr Harvey Risch de Yale, le cardiologue Peter McCullough et le chirurgien-en-chef de la Floride Joseph Ladapo ainsi que des praticiens (George Fareed, Vladimir Zelenko) ayant utilisé l’HCQ sur des milliers de patients au sein de protocoles développés indépendamment de celui de Marseille.

Le refus de l’HCQ a-t-il été motivé par la seule science ? On a droit de penser que non. On touche ici à un aspect controversé des propos de Raoult, accusé de « complotisme » pour ses protestations contre les conflits d’intérêts liés aux laboratoires et lobbys. Pourtant, certains faits restent troublants. Nous n’avons par exemple toujours pas d’explication pour la publication en 2020 par la prestigieuse revue The Lancet d’une étude frauduleuse discréditant l’HCQ – une étude qui, même après sa rétractation, a terni l’image d’un produit qui avait pourtant été autorisé en urgence aux E.-U. contre le Covid. De grandes questions demeurent également concernant l’approbation, surtout en Amérique, du Remdesivir de Gilead. Un produit appuyé par une grande campagne de lobbying ($1.26 million en 3 mois), autorisé suite à des essais dont le critère d’efficacité principal avait été mystérieusement changé en cours de route, changement signalé à Marseille comme suspect. Un traitement coûteux, abandonné par l’OMS en novembre 2020 suite aux résultats décevants de l’étude SOLIDARITY, mais vendu malgré tout aux européens par Gilead dans des circonstances peu claires, la société connaissant déjà les données de l’étude…

Quel lien entre HCQ et Remdesivir ? Il semble que l’autorisation du premier pouvait mettre en péril les essais sur le second : selon David Boulware de l’Université de Minnesota, des patients malades du Covid-19 demandaient pourquoi ils devraient préférer un placebo lors d’une étude plutôt que l’HCQ pour les soigner. Une très bonne question, dirait-on dans la cité phocéenne…
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