C’est une entreprise centenaire qui n’a cessé de se transformer pour répondre aux défis du temps. Elle a été fondée en 1917 par l’industriel Pierre-Georges Latécoère, qui produisait jusqu’alors des wagons et des obus, pour construire près de Toulouse des avions d’observation à la demande du ministère de la guerre. Au lendemain de la guerre, Latécoère fonde une compagnie aérienne -la plus grande au monde en 1925- qu’il revendra et qui deviendra l’Aéropostale. Poursuivant sa trajectoire, Latécoère se spécialisera dans la construction d’hydravions jusque dans les années cinquante, puis produira des missiles avant de devenir équipementier aéronautique … Aujourd’hui Latécoère qui emploie près de 5000 salariés dans treize pays dont 1500 en France, est un fournisseur de premier rang des grands constructeurs aéronautiques tels que Airbus, Boeing, Bombardier, Dassault Aviation ou Embraer.
Hélas, ce fleuron de l’industrie française vient de passer sous contrôle américain. L'autorité des marchés financiers (AMF) a confirmé le 4 décembre le succès de l'offre publique d'achat (OPA) lancée par le fonds d'investissement Searchlight Capital Partners qui avait déjà pris une participation à hauteur de 26% en avril 2019. On ne peut donc pas dire qu’on n’avait rien vu venir. Après le succès de cette OPA « amicale », Searchlight (un fonds immatriculé aux îles Caïmans …) contrôle 62,76% de ce fleuron aéronautique français, créateur de dizaines de brevets stratégiques chaque année. Une fameuse prise de guerre ! Désormais tous les produits qui incorporeront des technologies Latécoère seront à la merci du droit et donc de l’Etat américain, comme l’explique Laurent Izard, auteur de « La France vendue à la découpe », dans
Valeurs Actuelles.
Latécoère est spécialisé dans les aérostructures (tronçons de fuselage, portes) et surtout dans les systèmes d'interconnexion (câblages, meubles avioniques et équipements embarqués). C'est cette deuxième activité qui avait poussé des décideurs économiques et politiques à alerter le gouvernement sur la perte de souveraineté que subirait la France, notamment dans le domaine militaire, si Latécoère passait sous pavillon américain. Le 24 novembre, 17 députés LREM, LR, UDI et France insoumise, membres de la commission de la Défense nationale, avaient écrit au Premier ministre pour souligner le risque de voir contrôler par l'étranger la technologie Li-fi (utilisation de la lumière pour échanger des informations) dont Latécoère est l'un des pionniers. Cette technologie de communication est appelée à sécuriser des données notamment dans le domaine militaire. « Jamais le Pentagone américain n'aurait permis une prise de contrôle d'une telle technologie par un acteur étranger » a commenté l'économiste Christian Saint-Etienne.
Rien n’y a fait. Matignon a autorisé cette OPA dans le cadre de la procédure de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) à condition que Searchlight rétrocède 10% du capital à un fonds français pour assurer une présence tricolore au conseil d'administration de Latécoère. Mais si elle était mise en œuvre, cette disposition n’abaisserait la part de Searchlight qu’à 52,76% du capital, et ne l’empêcherait donc pas de contrôler Latécoère. Comme si les précédents de Pechiney, Arcelor, Alcatel, Lafarge, Alstom n’avaient servi à rien ! Après Latécoère, à qui le tour ? Photonis, l’un des leaders mondiaux des tubes intensificateurs de lumière dans l'aéronautique, semble promis au même sort…
Interviewé par Marianne (en lien ci-dessous) Ali Laïdi, chercheur à l’Ecole de pensée sur la guerre économique, estime que la cession de Latécoère à un fonds d’investissement américain démontre une nouvelle fois l’aboulie et l’absence de doctrine des dirigeants français quant à la souveraineté de notre pays.
