
La langue française est-elle assez féministe ?
1. Le masculin l’emporte sur le féminin. Cette règle remonte au XVIIe siècle. Dominique Bouhours, grammairien disciple de Vaugelas, estimait que « lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte ». Insupportable. Jusque-là, en vertu de la règle dite « de proximité », on pouvait dire « que les hommes et les femmes sont belles ».
2. Le masculin est aussi le neutre. Si on dit « je m’adresse à tous ceux que j’aime », « ceux » ne désigne pas que des hommes. Le celzécisme macronien (« celles et ceux » et « tous et toutes ») casse ce code.
On dit que la langue, c’est l’usage. Oui, bien sûr. Entre la règle et l’usage, l’usage a toujours raison : il valide ou ne valide pas. Mais cet aspect n'empêche pas le fait que le langage soit politique, c’est-à-dire qu’il est aussi régi par des conventions arbitraires qui peuvent changer selon les rapports de forces. L'écriture inclusive n'est que l'un des assauts du féminisme sur le rempart de conservatisme protégeant notre donjon linguistique.
En France, d'ailleurs, tout est politique. Depuis des siècles, le français est un outil inséparable de la volonté de transformer la société. L’État monarchique puis jacobin s’en servit comme vecteur d’unification. Depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), le pouvoir ne cessa de favoriser la langue nationale au détriment du latin et des patois. Avec l’Académie française (1635), l’État misa sur le savoir pour oublier les guerres de religions. Sous la Révolution, Barnave et l’abbé Grégoire firent de la connaissance du français un seuil d’accès à la nouvelle humanité. Dans son sillage, la IIIe République obligea les curés à prêcher en français. Comme l’écrivait Roland Barthes en 1976, « dès lors que l’orthographe est uniformisée, légalisée, sanctionnée par voie d’État, dans sa complication et son irrationalité mêmes, c’est la névrose obsessionnelle qui s’installe ». Celui qui ne maîtrise pas le code commet un pêché et s’exclut. Barthes pensait que réformer la langue ne servirait à rien : « à quoi bon refaire un code, si c’est de nouveau pour l’imposer, (…), en faire un instrument de sélection notablement arbitraire ? » Chez nous, le débat se pose toujours en termes autoritaires.
Les féministes ne se limitent pas à l’écriture inclusive. Il y a d’autres champs à labourer comme :
1. La féminisation des noms de métiers, de fonctions et des titres. À ce sujet, le 28 février 2019, l’Académie française fit une mise au point nuancée et argumentée. Reste que les postes à responsabilité, surtout dans l'entreprise, revêtent très largement des étiquettes masculine, plus valorisante. Directeur et directrice ne sont pas symétriques, par exemple. Ce point divise les féministes. La sociologue Nathalie Heinich, résolument antisexiste, affirme que « le féminisme ne se réduit pas à la visée « différentialiste », qui affirme la spécificité du féminin pour lutter contre les discriminations sexistes. Le féminisme devrait avoir bien plutôt une visée « universaliste », qui passe par la suspension de la différence des sexes dans les contextes professionnel ou civique, où elle n’est pas pertinente, car l’on y exerce une fonction indépendante de la personne qui l’exerce. »
2. Les expressions sexistes. Le Parisien se livre à un exercice de rééducation du lecteur sous la forme d’un jeu en bas de page intitulé « êtes-vous prêts à combattre les stéréotypes sexistes ? » Parmi six expressions, il faut « éliminer » celles jugées non conformes à la novlangue, en l’espèce « chef de famille », « bon père de famille », « mademoiselle » et « nom de jeune fille ». Évidemment, ce n’est qu’un jeu…