Islam

L'incroyable transformation d'une ville américaine devenue enclave musulmane.

Par Raphaël Lepilleur. Synthèse n°2548, Publiée le 16/09/2025 - Photo : Drapeau LGBTQ+ à Hamtramck. Crédits : Wikimedia Commons.
En 50 ans, Hamtramck est passée d'une enclave polonaise chrétienne à la ville la plus musulmane des USA. Douze mosquées sur 5,2 km², un conseil municipal exclusivement masculin et musulman, une vie désormais tournée vers l'islam. Portés jusque là par des militants aux slogans prônant diversité et inclusion, les élus s'affrontent désormais avec leurs anciens alliés, notamment LGBT, qui les qualifient d'homophobes.

Hamtramck est une ville située dans la banlieue de Détroit (fondée en 1701 par les Français, d'où le nom, puisqu'elle est sur un détroit). Elle fut une ville prospère, capitale de l'automobile. Après la Seconde Guerre mondiale, l'économie s'essouffle, la population décline et une immigration plus pauvre s'installe. Problèmes d'intégration, tensions raciales… En 1967, des émeutes éclatent, parmi les plus sanglantes de l'histoire des USA (sans trace d'affrontement à Hamtramck). Puis la mondialisation, la désindustrialisation, la crise des subprimes… La ville est la première à se déclarer en faillite en 2013. Le destin de Hamtramck est forcément lié. Très marquée par une forte immigration polonaise, la ville comptait, dans les années 1970, près de 90 % d'habitants d'origine polonaise. Ils y ont fondé leur propre théâtre, des groupes artistiques et une philharmonie, en plus d'institutions sociales et culturelles. Leur intégration fut facilitée par une base chrétienne commune avec les USA. Par la suite, la ville a suivi la dynamique de Detroit : les migrants principalement originaires du Yémen, d'Afghanistan, du Bangladesh et du Pakistan s'y sont progressivement installés, transformant la composition démographique jusqu'à en faire rapidement la première ville à majorité musulmane des USA.

La première mosquée apparaît dans les années 1980 et, dès les années 1990, la communauté musulmane réclame plus d'espaces de prière et des écoles coraniques. Demandes qui seront entendues, puisqu'en 2004, la ville compte quatre mosquées (des débats existent sur l'une d'elles, car située en bordure de ville) et un centre culturel islamique. Comme souvent aux USA, ces lieux de culte intègrent des madrasas (écoles coraniques) destinées aux enfants. 2004 marque un tournant, avec l'accord de la mairie pour diffuser l'appel à la prière (adhan) par haut-parleur. On retrouve la trace de cette demande, formulée par un citoyen, en ces termes : « As-salām ʿalaikum, conseillers municipaux et membres du public. Je m'appelle Masud Khan et j'habite Hamtramck. Nous sommes tous ici des immigrés, tout le monde vient d'autres pays. Nous devons vivre ensemble. Nous devons prendre en compte les problèmes des uns et des autres et essayer de les résoudre. C'est ainsi qu'une ville devient grande. À ce titre, je suis musulman et je pratique ma prière cinq fois par jour, cela fait partie de notre religion. Ma demande est simplement d'autoriser l'appel à la prière ». Si cela a suscité de la résistance dans la communauté catholique polonaise, la demande a finalement été acceptée au nom des droits civiques, sous l'autorité de la présidente du conseil municipal de l'époque, Karen Majewski, historienne de l'immigration, qui deviendra maire en 2006. Elle s'est présentée comme une intellectuelle progressiste, passionnée par la diversité culturelle, cherchant à concilier héritage polonais catholique et culture musulmane. Elle intègre d'ailleurs massivement des représentants musulmans au conseil municipal, portée par des idéaux de diversité et de pluralisme. Mais en 2015, la situation change et Hamtramck devient la première ville des USA dont le conseil municipal est composé exclusivement d'hommes musulmans. Évincée de son propre conseil (aux USA, un maire ne siège pas forcément), Majewski perdra la mairie en 2021 au profit d'Amer Ghalib, premier maire musulman, soutenu par les musulmans et par des électeurs louant progrès et diversité. À ce moment-là, la population polonaise est estimée à moins de 5 %, contre plus de 60 % de population musulmane. En 2016, la ville de 5,2 km² comptait 12 mosquées (aujourd'hui, un projet de 13e est en cours, un autre est en suspens). Plus tard, Majewski déclarera : « On a travaillé dur pour développer une communauté accueillante où l'on se sente en sécurité. Et puis, tant de choses se sont effondrées en si peu de temps. On s'est sentis trahis. On a soutenu les immigrés pour l'appel à la prière, et maintenant ils menacent nos droits ». Quant à l'acceptation de l'appel à la prière, elle avouera avoir été « naïve », pensant que l'opposition ne pointait qu'un problème de nuisance sonore.

Le mandat d'Amer Ghalib est marqué par un soutien accru aux commerces halal, aux institutions religieuses et éducatives musulmanes, et par une vie culturelle et politique structurée autour de l'islam. D'autres revendications, comme l'interdiction de l'alcool, se heurtent encore à la loi en vigueur dans le Michigan. Sur la scène internationale, les principales critiques ont visé les politiques anti-LGBT, brisant ainsi les alliances, et suscitant l'indignation de ces derniers qui vont jusqu'à qualifier le maire d'« homophobe ». De fait, dans les pays à majorité musulmane, l'homosexualité (et plus largement la communauté LGBT+) est criminalisée, de la prison à la torture, jusqu'à la peine de mort. Tout comme on pourrait parler de politique « christianophobe », à propos de la persécution contre ceux qui quittent l'islam pour le christianisme (l'apostasie étant passible de mort au Yémen, par exemple). Dans ce contexte, rien d'étonnant à ce que l'arrivée au pouvoir d'élus musulmans se traduise par une islamisation de la société et une hostilité envers la communauté LGBT... Certains apprécient, comme ce youtubeur (vidéo en sélection) qui affirme que la communauté locale s'enrichit, qu'il y règne une bonne ambiance, soulignant la bonne nourriture et que « tout le monde s'entend parfaitement bien ».

Après avoir soutenu Trump lors de l'élection présidentielle de 2024, Amer Ghalib a été placé par ce dernier, en mars 2025, comme candidat au poste d'ambassadeur des USA au Koweït. De nouvelles élections ont alors eu lieu, et tous les candidats en lice étaient issus de l'immigration musulmane, garantissant la continuité politique. Le scrutin a été entaché de soupçons de fraude, avec des vidéos de bourrage d'urnes relayées jusqu'à la télévision. En fin de compte, les USA n'ont pas de laïcité, mais garantissent la liberté religieuse. En France, un sondage Ifop de décembre 2023 révélait que 78 % des musulmans interrogés considéraient la laïcité comme « musulmanophobe ».

À retenir
  • Hamtramck : 90 % de population chrétienne d'origine polonaise en 1970, moins de 5 % aujourd'hui
  • En 2004, Hamtramck est devenue la première ville des États-Unis (et du continent américain) à autoriser officiellement la diffusion de l'adhan (appel à la prière) par haut-parleur.
  • Première mosquée dans les années 1980, aujourd'hui au nombre de 12 (et d'autres en prévision), adossées à des madrasas (écoles coraniques).
  • Soutenus au départ par les slogans de diversité et d'inclusion, les élus musulmans prennent, dès 2015, le contrôle du conseil municipal, exclusivement composé d'hommes, avant qu'Amer Ghalib ne devienne en 2021 le premier maire musulman et ne rompe avec ses anciens alliés, notamment LGBT.
La sélection
Visiting America's first ever Muslim majority city ! - Hamtramck, Michigan
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