Face à l'Église, Raphaël Enthoven s'engage pour l'euthanasie
Société

Face à l'Église, Raphaël Enthoven s'engage pour l'euthanasie

Par Louis Daufresne - Publié le 01/01/1970
« Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! », s’écriait Madame Roland avant la guillotine. De ce mot que lui attribue Lamartine, tirons une leçon : gare à ceux qui se réclament de la liberté ; ils sont les plus prompts à la bafouer… l’homme sans scrupule la chérit comme le fait Don Juan d’une maîtresse : il s’en sert pour tromper – les autres, Dieu et sa conscience. C'est le cache-sexe de son désir de toute-puissance.

La liberté est au cœur du débat sur la fin de vie. Sans surprise, la « convention citoyenne » vient de se prononcer en faveur du changement de la législation actuelle qu'envisage le président Macron. À la question : « l'accès à l'aide active à mourir doit-il être ouvert ? », 75% de ses 184 membres tirés au sort ont voté « oui », 19% ont voté « non ».

Depuis 2016, la loi dite Claeys Leonetti autorise une « sédation profonde et continue », sans permettre de provoquer activement leur décès ou de leur donner les moyens de le faire. Dans ce contexte, tout un discours axé sur la liberté va se déployer pour obtenir ce nouveau droit, celui de mourir.

Le Figaro donne ainsi la parole à Raphaël Enthoven et Pierre Juston, respectivement philosophe et juriste de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Tous deux disent pourquoi ils sont favorables à l’euthanasie. Leur tribune répond à Erwan Le Morhedec, avocat connu pour ses positions cathophiles. L’écriture est ciselée, chaque mot pesé.

Jugez plutôt la chute : « La différence entre vous et nous n'est pas une différence entre la "culture de la mort" et la "défense de la vie", c'est la différence entre le fait de se battre, comme nous, pour le choix de tous selon la conscience de chacun, et le fait de se battre, comme vous, pour que votre idée du Bien l'emporte sur la liberté des autres. » Tout est dans le « votre ». Pour Enthoven et Juston, le bien commun n’existe pas. Le postulat relativiste ôte toute prétention aux catholiques d’exercer une influence sur la cité. Même affaiblie en Occident, l’Église demeure une sphère de pouvoir qui obéit à ses propres lois. Cette réalité institutionnelle, manifestement, gêne encore.

D’où le regard condescendant qu’Enthoven et Juston portent sur ce qui « n’est plus désormais qu'une association civile et privée ». De quel droit ses représentants se prendraient-ils pour des législateurs ? Cherchant à la diviser, ils avancent que « la majorité [des chrétiens] est aujourd'hui favorable à l'aide active à mourir » et affirment même qu’en ces instants, « bien des chrétiens, abjurant leur foi, deviennent soudain romains et passent à l'acte ». Bigre.

Prenant du champ, Enthoven et Juston jurent que « le libre choix en matière de fin de vie est au même titre que le droit à l'IVG ou le mariage pour tous, un "combat laïque" ». Rien de moins. Les sujets de société, sous leur plume, prennent une dimension métaphysique, comme si après avoir tué le père, Dieu, il fallait tuer la mère, l’Église. Sa rémanence serait encore trop forte via les interdits juridiques et autres verrous mentaux venus de son anthropologie. Il est temps de déconstruire tout ça, au nom de la liberté.

Car « si ce geste-là [mourir, ndlr] n'est pas libre, aucun geste ne l'est ». À leurs yeux, « la liberté ne dépend pas des souhaits qu'elle met en œuvre » c’est-à-dire « du bon ou du mauvais usage qu'on en fait ». Cet aveu est essentiel et là où elle est, Madame Roland le médite encore. Enthoven et Juston proclament que « la liberté que la loi garantit ne porte pas sur la nature de nos désirs, mais sur les droits dont nous disposons ». Peu importe que ces droits aboutissent ou non à des dérives, des catastrophes ou des injustices, puisque ce qui compte, c’est de les exercer souverainement.

Ce refrain simpliste, s’il n’est pas nouveau, masque l’essentiel : « Acquérir un certain droit de mourir, c’est renoncer à un certain droit de vivre », comme le dit le philosophe Henri Hude. Pour faire exister le nouveau droit, il faudra l’assortir d’obligations : ne pas empêcher quelqu’un de se donner la mort, l’y aider, mais aussi qu’il se la donne en certaines circonstances... Car si un acte jugé moral devient un droit, rien n’empêche qu’il puisse devenir un devoir. Chez les Esquimaux, celui qui se jugeait bouche inutile sortait de l’igloo mourir doucement dans le froid. En Polynésie, il partait de lui-même en pirogue pour ne jamais revenir.

En posant un droit, « l’État, ajoute Hude, validera au nom de tous (…) un jugement de valeur ». Contrairement à ce que disent Enthoven et Juston, la liberté dépend de l’usage qu'on en fait, c'est-à-dire de la morale : on n’imagine pas que soit jamais posé « un droit à frauder le fisc, allumer des incendies ou capter les héritages ».

L’homme se civilise toujours par les limites qu’il s’impose.
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Raphaël Enthoven, Pierre Juston : « Pourquoi nous sommes favorables à l'euthanasie »
Le Figaro
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