Barbotages de barbouzes en mer Baltique
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Barbotages de barbouzes en mer Baltique

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 13/02/2023 - Illustration : Shutterstock
Qui donc a fait sauter 3 des 4 pipelines Nord Stream 1 et 2 reliant la Russie à l’Allemagne 80 mètres sous la surface de la mer Baltique ? Les grands médias, comme le New York Times, ont réagi rapidement en parlant de « mystère » après que les explosions ont été constatées en septembre dernier. D’autres n’ont pas hésité à pointer du doigt Moscou, tel « l’œil du Mordor » agissant partout, en Ukraine et dans la mer Baltique, en passant par l’Afrique… L’enquête du célèbre journaliste Seymour Hersh (détenteur du prix Pulitzer), publiée sur son blog (notre sélection) a jeté un pavé dans la mare. Il accuse son pays – les États-Unis – d’avoir organisé et exécuté l’opération avec l’appui de la Norvège, un fidèle allié membre de l’OTAN. La Maison Blanche a rapidement démenti et des critiques ont souligné que le « J’accuse » de Hersh est fondé sur une source unique et anonyme… Mais le scénario mérite d’être résumé tant les soupçons pèsent sur Washington avec des conséquences lourdes sur les relations internationales.

À qui profite le crime ? Nord Stream 1 fournissait depuis une décennie l’Allemagne et une partie de l’Europe de l’Ouest de gaz naturel bon marché venant de Russie. Une nouvelle paire de pipelines (Nord Stream 2) était prête en septembre 2021 et attendait le feu vert de l’Allemagne pour doubler le volume de gaz, assurant plus de 50% des besoins allemands annuels. Washington a considéré – dès le début – Nord Stream 1 comme une menace, liant directement la Russie avec les principales économies européennes (Allemagne, France, Pays-Bas). Gazprom, l’opérateur russe, est un financier majeur pour Moscou (jusqu’à 45% du budget russe annuel). Et Nord Stream est un lien qui évite l’Ukraine. Bref, Nord Stream est depuis longtemps une cible de la diplomatie américaine qui a fait pression sur le gouvernement allemand pour bloquer l’ouverture des nouveaux pipelines fin 2021. Cette ligne d’approvisionnement majeure risquait d’empêcher l’Allemagne et la France de soutenir l’Ukraine alors qu’une offensive russe s’annonçait. Le 7 février 2022, à la sortie d’une réunion avec le chancelier allemand Olaf Scholz, Joe Biden a carrément déclaré à la presse (voir vidéo AFP) : « Si la Russie envahit l’Ukraine, il n’y aura plus de Nord Stream 2. - Mais comment allez-vous faire cela puisque le projet est sous contrôle de l'Allemagne ? - Je vous promets que nous pourrons le faire. »

L’opération décrite par Hersh aurait bénéficié du soutien actif de la Norvège. Les Américains ont renforcé leur présence dans ce pays qui touche la Russie, en investissant dans des radars capables de pénétrer la Russie en profondeur. Ils ont ouvert une base de sous-marins et ont même poussé le gouvernement norvégien à placer les régions abritant les installations américaines sous juridiction de Washington… Oslo est donc un allié dont l’hostilité envers la Russie ne peut faire de doute. La mer Baltique étant étroitement surveillée par les Russes, l’exercice BALTOPS 22 qui réunit les marines de l’OTAN en juin depuis 21 ans offrait un écran idéal. Le mode opératoire : des plongeurs iraient poser des mines C4 sur les pipelines à la proximité de l’ile danoise de Bornholm (dans des eaux aux courants faibles) sous le couvert des intenses manœuvres. Les mines seraient déclenchées par une bouée acoustique larguée par un appareil de la marine norvégienne – plusieurs semaines après l’exercice interallié – le 26 septembre 2022.

Quelques zones d’ombre entachent le récit de Seymour Hersh. Il dépend d’abord d’une seule source anonyme. Et certains détails sont d’ailleurs remis en question par des analystes (cf. critiques d'Alexander). Par exemple, les distances entre les pipelines – inexactes – indiquées par Hersh. Ou encore le type d’appareil utilisé pour lâcher la bouée – un P8 de la marine norvégienne – pourtant non encore livré. D’après Hersh, un exercice de détection de mines sous-marines avait été ajouté à BALTOPS 22 pour parfaire la couverture de l’opération secrète. Or, il apparait que l’exercice naval otanien inclut couramment des plongeurs et des détections de mines…

Ces critiques sont tout à fait recevables. Mais elles concernent des détails et ne permettent pas de décrédibiliser le cœur de l’exposé de Hersh : les États-Unis seraient les instigateurs et des plongeurs de la Navy auraient posé les mines. Qui d’autre en fait ? Une commission d’enquête allemande vient de conclure qu’elle n’avait pu trouver aucune preuve d’une action russe. Quel intérêt d’ailleurs pour les Russes ? Ces pipelines étaient des « mines d’or » à l’intérêt stratégique, un pont vers l’Europe de l’Ouest. Un jeu à trois bandes pour forcer les opinions publiques et les économies européennes à abandonner le soutien à l’Ukraine à cause d’un prix de l’énergie devenu insupportable ? Cela parait « tiré par les cheveux ». L’administration américaine s’est, elle, félicitée ouvertement de la destruction de Nord Stream. Et la Norvège peut aussi se réjouir, devenant un fournisseur de gaz incontournable… Mais comment l'Allemagne va-t-elle réagir ? La Russie somme l'ONU d'enquêter. L'affaire est une bombe
La sélection
Barbotages de barbouzes en mer Baltique
How America took out the Nord Stream pipeline
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