Société

La baguette, une icône française en péril

Par Judikael Hirel. Synthèse n°2495, Publiée le 05/06/2025 - Photo : La baguette, un trésor national plus apprécié à l'étranger qu'en France.
Crédits : Shutterstock.
Véritable symbole de l'art de vivre à la française à l'échelle mondiale, la baguette est à la fois de plus en plus chère et de moins en moins consommée dans l'Hexagone. 

Peut-on exiger des Français de passer une journée sans baguette ? C'est ce que se demandait sérieusement la presse allemande, alors que les boulangeries étaient censées fermer leurs portes le 1er mai en France. En effet, le droit du travail hexagonal, depuis 2006, impose aux 35 000 boulangers français de ne pas ouvrir le jour de la fête du Travail.

La question, au fond, est plus sérieuse qu'il n'y parait, tant la baguette est avec Marianne et le drapeau tricolore, l'un des symboles de la France. Une icône en danger cependant. Patrimoine culturel immatériel de l'humanité depuis 2022, elle avait été décrite avec lyrisme comme « 250 grammes de magie et de perfection » par Emmanuel Macron, dont les baguettes qu'il consomme proviennent cette année chaque matin, du meilleur boulanger de Paris, Mickaël Reydellet. Premier péril de ce pain symbolique : son prix. Chaque seconde écoulée, ce sont encore plus de 300 baguettes de pain qui sont vendues et consommées en France, soit près de 10 milliards par an.

Les boulangers ont été parmi les premiers à protester contre la ruine engendrée par l'explosion des factures d'énergie. L'inflation a également largement touché leurs productions. Qui, jadis, aurait imaginé acheter une simple baguette équivalent à 10 francs, soit environ 1,30 euro (alors qu'elle valait 1 franc en 1975) ? Durant la décennie 2010, le prix de la baguette était plutôt stable, en moyenne autour de 90 centimes. En moyenne, elle mesure 55 à 65 cm et pèse entre 200 et 300 grammes. En 2024, le prix moyen de la baguette est passé à 1 euro, et bien souvent plus encore. Mais, dès lors que nul texte - fait quasi unique dans l'Hexagone - ne vient en définir le poids et la longueur, le long pain frais préféré des Français est d'autant moins long que son prix augmente. De quoi finir par détourner bien des amateurs obligés de compter pour remplir leur caddie chaque mois. Pourtant, selon les chiffres de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française, 48% du prix de la baguette serait versé dans les salaires des travailleurs de la boulangerie, 22% pour la farine, 11% pour les loyers, 6% pour les taxes, 5% pour l'énergie. Soit une marge moyenne de seulement 8%. Mais même la baguette peut se faire accuser de tous les maux. Ainsi, selon une étude de l'application antigaspi Too Good To Go, plus de la moitié des Français déclarent jeter l'équivalent de six baguettes par an. Or, plaide l'organisation, produire une baguette de pain suppose 155 litres d'eau. Soit l'équivalent d'une baignoire. Faut-il donc la raccourcir pour ne rien gâcher ? A priori, l'inflation s'en est déjà chargée !

D'où vient la baguette, au fait ? Là-dessus, rien n'est vraiment clair. Les uns la rapprochent des campagnes des grognards de l'armée de Napoléon. Les autres rattachent son apparition aux ouvriers chargés de la construction du métro parisien, afin de leur proposer un pain qui puisse se rompre sans couteau. « La baguette est venue répondre aux exigences d'une clientèle aisée, qui souhaitaient un pain frais à toute heure, avec davantage de croûte, et moins de mie », explique à La Croix, Éric Birlouez, sociologue de l'alimentation et auteur du livre Le Pain, une croustillante histoire (Éd. Quae, 2024). La « baguette » apparaît ainsi pour la première fois dans un traité de boulangerie en 1904, mais elle ne se démocratise qu'à partir des années 1960, au moment des Trente Glorieuses, « quand la hausse du pouvoir d'achat permet aux ménages de diversifier leur alimentation ». Elle remplace alors la traditionnelle boule de pain comme base du repas.

Une base de plus en plus ténue : quand on consommait 1,5 kg de pain par jour et par personne au Moyen-Âge, nous en étions à 900 grammes par jour début XXe, mais seulement 120 grammes de nos jours… « Donnez-nous notre pain quotidien » ? La diversification de nos repas, à commencer par celui du matin, finit par faire de la traditionnelle baguette française une icône en péril. Jusqu'ici, la France a toujours su se servir de son patrimoine culturel et gastronomique pour agrandir son influence internationale. Dans le récent documentaire, du pain coûte que croûte, on apprend qu'en 2003, la France comptait 42 000 boulangeries. Ces dernières années, elles sont moins de 30 000. La faute à la concurrence industrielle et aux chaînes de boulangeries low-cost, en plein essor. Ce qui pourrait bien, finalement, tuer la baguette, c'est la chute de sa qualité, et le fait que les Français s'en soucient de moins en moins, alors que le monde entier y associe la France. Selon Steven Kaplan, historien spécialiste du pain, « l'intérêt pour la baguette est certainement plus important à l'étranger encore aujourd'hui qu'en France. Les Français sont blasés, pour ne pas dire autrement, par rapport à la baguette. »

La sélection
Craquante, dorée, gaspillée : comment la baguette s'est imposée dans nos assiettes
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1 commentaire
Le 05/06/2025 à 21:37
Et ( çà c'est la cerise...)je viens de lire que la baguette (farine blanche) serait....cancérigène ! Qui a interêt à tuer la baguette française ?
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