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Quel avenir pour l'Irlande du Nord sous sa nouvelle Première ministre Michelle O'Neill ?

Par Peter Bannister - Publié le 10/02/2024 - Michelle O'Neill à Derry en 2022. Crédit photo : Sinn Féin / Wikimedia Commons

L'arrivée de Michelle O'Neill du Sinn Féin en tant que Première ministre de l'Irlande du Nord, première nationaliste à occuper le poste depuis la partition de l'Irlande en 1921, a été saluée par beaucoup comme un séisme politique ou même un premier pas vers une réunification de l'île. Élue en 2022, elle ne prend ses fonctions que maintenant à cause du boycott de l'Assemblée parlementaire de Stormont par le DUP. Il s'agit de la principale formation des unionistes d'ascendance protestante, partisans du maintien de l'Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni. Le DUP s'était retiré de l'Assemblée en protestant contre l'imposition suite au Brexit d'une « frontière maritime » douanière entre l'Irlande du Nord et la Grande Bretagne, craignant un affaiblissement des liens entre Belfast et le reste du Royaume-Uni. Ce boycott a laissé l'Irlande du Nord sans gouvernement pendant presque deux ans. Le leader du DUP, Jeffrey Donaldson, a finalement permis à son parti de rejoindre l'Assemblée suite à des concessions de la part de Londres, dont la suppression de la « frontière » en mer d'Irlande et la promesse de 2,5 milliards de livres de soutien économique pour la région.

Le parcours de Michelle O'Neill est fermement ancré dans l'alliance historique entre le Sinn Féin et l'IRA : son père était membre du mouvement paramilitaire, tout comme son cousin lointain Tony Doris, tué par les forces de sécurité britanniques en 1991. Un passé familial qu'O'Neill assume. Elle disait jusqu'en 2022 qu'il n'y avait pas, à l'époque des « Troubles », d'alternative à la violence face à la discrimination contre les Irlandais du Nord d'origine catholique - tout en soulignant que cette sombre période s'était terminée avec les accords du Vendredi Saint en 1998.

Des commentateurs comme Eamonn O'Malley ont d'ailleurs confirmé, suite à des contacts avec les leaders républicains, qu'un retour à la lutte armée serait impensable à l'heure actuelle. Prenant une décision historique qui a aliéné certains irréductibles du Sinn Féin, Michelle O'Neill a notamment accepté d'assister au couronnement du roi Charles III (dont l'oncle Lord Louis Mountbatten avait été assassiné par l'IRA en 1979). Promettant d'agir en Première ministre pour tous, elle a reconnu qu'il s'agissait d'un « évènement extrêmement important » pour beaucoup de gens en Irlande du Nord. Quant aux unionistes, s'il existe encore quelques groupuscules paramilitaires (surtout dans les bastions de la classe ouvrière tels que le Shankill Road à Belfast), le discours de leurs leaders est également devenu beaucoup plus modéré. Il faudrait d'ailleurs dire que l'élection de Michelle O'Neill n'exclut pas les unionistes de la gouvernance de l'Irlande du Nord. Conformément aux accords de 1998, le poste du vice-premier ministre – dont les pouvoirs sont égaux à ceux d'O'Neill - revient automatiquement à l'opposition, donc à Emma Little-Pengelly du DUP.

Si personne ne prévoit une recrudescence de la violence sectaire en Irlande du Nord, l'opinion publique continue pourtant à être marquée par deux lectures contradictoires quant à la question de la réunification éventuelle avec le Sud. Pour Michelle O'Neill, un referendum serait envisageable dans la décennie qui vient, tandis que pour Jeffrey Donaldson du DUP ainsi que pour le gouvernement conservateur britannique, l'avenir de l'Irlande du Nord reste solidement au sein du Royaume-Uni.

Une enquête très détaillée sur la réunification a récemment été menée à la fois en Irlande du Nord et en République d'Irlande par l'Irish Times et l'Académie Royale d'Irlande. Les résultats semblent plutôt conforter la position du DUP et du gouvernement britannique au sujet de l'avenir immédiat de l'Irlande du Nord. Le soutien pour une Irlande unie ne serait actuellement que de 30 %, même si ce chiffre est en progression (27 % en 2022), tandis que la moitié des Irlandais du Nord voudrait rester dans le Royaume-Uni. Dans le Sud, l'idée de la réunification serait par contre approuvée par deux tiers de la population, même si elle mènerait à des coûts économiques importants à court terme. Face à la question du statut de l'Irlande du Nord dans une éventuelle Irlande unie, les protestants du Nord seraient beaucoup plus hostiles à un modèle de réunification dans lequel l'Irlande du Nord cesserait tout simplement d'exister qu'à un modèle dans lequel elle garderait ses Assemblée, exécutif partagé et autonomie en matière de santé, éducation et sécurité.

Pour l'instant, la plupart des leaders à Belfast, Dublin et Londres soulignent que la priorité actuelle de l'Irlande du Nord devrait être la reconstruction de ses services publics suite à deux ans sans gouvernement, plutôt que le changement constitutionnel. Le climat politique pourrait néanmoins changer si la présidente du Sinn Féin, Mary Lou McDonald – qui estime qu'un referendum sur la réunification pourrait avoir lieu avant 2030 - venait à être élue en tant que Taoiseach (Première ministre) aux prochaines élections au Sud, que tous les habitants de l'île d'Irlande suivront de très près.


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