
Aide à mourir contre droit de vivre, le combat se poursuit
Le 27 mai 2025, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture par 305 voix contre 199 et 57 abstentions, la proposition de loi légalisant « l'aide à mourir », c'est-à-dire, bien que ces mots soient évités, l'euthanasie et le suicide assisté. Les députés ont aussi adopté, mais cette fois à l'unanimité (560 voix, 0 contre), la proposition de loi renforçant les soins palliatifs, ces deux textes s'inscrivant dans le cadre d'une législation sur « la fin de vie ».
On pourrait croire que l'adoption de ces deux textes est un gage d'équilibre. Ils procèdent pourtant d'inspirations radicalement contraires : aider à vivre, aider à mourir... une même compassion étant supposée présider à ces deux actes antagonistes.
Ce vote du texte concernant « l'aide à mourir » est une première historique. En accordant le droit de donner la mort, il opère une rupture anthropologique et civilisationnelle majeure. Il lève l'interdit de tuer consacré pour les soignants par le serment d'Hippocrate depuis plus de deux millénaires. Il rompt « avec trois fondements essentiels de la vie en société : la solidarité vis-à-vis des plus fragiles, la prévention universelle de tout suicide et la confiance entre les soignants, les soignés, et leurs proches » résume Alliance Vita.
Une partie du corps médical juge incompatible l'acte de donner la mort et celui de soigner. Les opposants les plus déterminés se trouvent chez les soignants engagés dans les soins palliatifs (cf. cette tribune ) et chez les psychiatres, scandalisés par l'inclusion des « souffrances psychologiques » dans les critères d'éligibilité à la mort provoquée (cf. cette tribune en lien également ci-dessous). S'ils se réjouissent du vote pour un renfort des soins palliatifs, ils font remarquer qu'il faudra des années pour que l'ensemble des Français puissent bénéficier d'un tel accompagnement, vu l'état général de notre système hospitalier et l'absence d'unités de soins palliatifs dans une vingtaine de départements. Concrètement, « la moitié des malades concernés n'y ont toujours pas accès » constatait la Cour des comptes en 2023. Elle estimait alors que six malades en fin de vie sur dix nécessitaient des soins palliatifs, soit quelque 380 000 personnes par an, étant entendu que le vieillissement de la population renforce ce besoin d'année en année (La Nouvelle République, 31/05/2025).
En revanche « l'aide à mourir » par l'euthanasie ou le suicide assisté, serait immédiatement disponible. N'aurait-on pas la tentation croissante d'y recourir ? Tentation pour des malades tenaillés par une souffrance physique ou psychique incontrôlée et par le souci d'être une charge pour leurs proches et la société. Tentation pour certains soignants incités à pratiquer ce geste fatal, et sommés de respecter la logique comptable de l'administration. Le coût d'une euthanasie est en effet dérisoire au regard d'un accompagnement en soins palliatifs, comme l'a démontré la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) dans une étude intitulée « Les non-dits économiques et sociaux du débat sur la fin de vie ». La Fondapol pointe en particulier des insuffisances dramatiques de soins palliatifs dans les Ehpad : « 63% des Ehpad déclarent avoir des postes non pourvus depuis plus de six mois. » N'y sera-t-on pas particulièrement enclin à y appliquer « l'aide à mourir » en toute légalité ? A ce propos, au vu de ce qui se produit dans d'autres pays « avancés » en lois sociétales, les opposants font remarquer qu'une fois accordé le « droit à mourir », les barrières législatives supposées l'encadrer ont rapidement cédé. Or celles qui figurent dans la proposition de la loi française en feraient déjà la plus « libérale » au monde… Un libéralisme qui prend le visage du totalitarisme à l'encontre des objecteurs menacés du « délit d'entrave » : « Le délit d'entrave, introduit dans le texte, est glaçant. Deux ans de prison pour qui tenterait d'empêcher un suicide assisté. Autrement dit : défendre la vie pourra désormais être un délit. Ce qui fut pendant des siècles un devoir moral devient une entrave légale. (...) l'interdit ne pèse plus sur celui qui tue, mais sur celui qui tente de retenir la main » s'alarme le journaliste Jules Torrès dans le JDD (27/05/2025).
Ces interrogations et ces objections semblent avoir peu de poids chez les partisans et promoteurs du « droit à mourir ». Le président de la République, qui avait lancé les travaux sur la fin de vie en 2023, a salué l'« étape importante » franchie le 27 mai 2025 : « Dans le respect des sensibilités, des doutes et espoirs, le chemin de fraternité que je souhaitais s'ouvre peu à peu. Avec dignité et humanité » s'est réjoui Emmanuel Macron (France info, 27/05/2025).
Cependant le texte voté le 27 mai n'est pas encore définitivement adopté. Le processus législatif va se poursuivre dans les mois à venir : le Sénat doit encore s'emparer du texte en première lecture (en commission comme en séance), après quoi commencera une deuxième navette parlementaire (2ème lecture à l'Assemblée nationale, puis 2ème lecture au Sénat). Sans compter qu'en cas de nouvelle dissolution, tout le parcours législatif serait à reprendre depuis le début…