Petites réflexions sur la chute du Mur (II)
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Petites réflexions sur la chute du Mur (II)

Par Louis Daufresne - Publié le 08/11/2019
Dans une précédente LSDJ (n°800), nous parlions de ces images portant encore la mémoire de cet événement, à la lumière de l’expérience que j’avais vécue adolescent « de l’autre côté », en RDA. Et nous écrivions que mon sentiment au soir du 9 novembre 1989 était comme l’Allemagne d’alors, « partagé ». Une précision s'impose toutefois : elle concerne l’Ostalgie, un concept assez ambigu et pernicieux. Si on sourit encore devant la comédie Goodbye Lenin !, on peut être allergique à l’exploitation du communisme, quand le marché accapare une histoire tragique pour la transformer en Disneyland. Á l’arrivée, ça donne la photo christique du Che Guevara, icone d'une jeunesse se la jouant « rebelle ». Certes, un tel affichage veut sans doute dire que l’argent n’est pas le but de la vie, que l’idéal mené jusqu’à son terme a quelque chose de romantique. Il n’empêche : cette nostalgie aboutit à un mensonge. On entretient à feu doux une idéologie mauvaise et on cache l’horrible réalité de ce que fut son application. Mais ce jugement n’est pas autorisé. Dans notre société censée être libre et concurrentielle, seule la gauche – entendons l’esprit de gauche – a le droit d’inventer de l'utopie. Peu importe que celle-ci sombre dans le cauchemar, on trouvera toujours un prétexte pour en sauver l'image. D’ailleurs, en 1989, c’est le stalinisme qui passe à la trappe, pas le communisme qui demeure une « idée généreuse ».

La société mercantile n’offrant aucun autre rêve que la consommation, elle a besoin d’injecter de l’espérance dans le quotidien. L'espérance, c'est l'autre nom de l'utopie. Le marché absorbe d’autant mieux les rêves révolutionnaires qu’il les traite avec désinvolture, non pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils rapportent. La révolution devient un segment de marché. Il y a ici quelque chose de choquant. L’Ostalgie rend sympa un régime qui avait le droit de tuer et qui disparut le jour même qu’il renonça à exercer ce droit. La société mercantile agit ainsi envers les idéologies cataloguées à gauche, alors que Marx et ses disciples sont censés être les fossoyeurs du marché. Le nazisme (qui emprunte autant à la gauche qu’à la droite) n’est pas du tout traité de la même manière. On n’en fait aucune exploitation romantique, ce qui n’en affadit pas la substance et permet de toujours s’en servir comme moyen d’intimidation sur les peuples en colère. Le nazisme demeure vivant dans l’usage que le pouvoir en fait. N’est-il pas seulement honteux d’en faire usage, alors qu’il devrait être relégué dans l’abîme de nos mémoires ?

Guy Debord était connu pour exploiter les aphorismes des grands penseurs. Dans La Société du spectacle (1967), le situationniste détourne la phrase de Hegel en affirmant que « dans un monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux ». L’Ostalgie, c’est ça. Le vrai, le communisme soviétique, perd sa rugosité pour devenir une brocante mentale qui nous amuse et contribue au divertissement des foules.

En clair, il ne faut pas mélanger deux choses : le système carcéral de la RDA, abominable, et ce que ce système, malgré lui, permit de conserver de l’ancien monde. Le gauchisme l’avait bien perçu : l’URSS ne portait plus la révolution mais, par la résistance que suscitaient sa brutalité et son impéritie, faisait vivre sous le boisseau tout ce que Marx voulait détruire, en particulier la foi et l’autorité. Au bout du compte, Staline ne parvint qu’à une seule chose : remplir les églises ! Ce fut l'épisode Walesa et Jean-Paul II : des ouvriers s'agenouillant devant des curés en soutane. La révolution, c’est le capitalisme qui la véhicule, car l’argent, en devenant la seule référence de nos vies, fait de nous un acteur de la subversion qu'il déclenche partout. Le communisme embastillait les corps, alors qu’il suffisait de corroder les esprits, de les arracher en douceur et en chanson à tous les stéréotypes religieux, culturels, familiaux. La révolution, c’est à l’Ouest qu’elle eut lieu et qu’elle continue. 89 et 68, il faut mettre les chiffres dans le bon sens car ils sont réservibles ! Mai 68 ringardisa tous les régimes de l’Est qui marchaient au pas. L’écrasement du Printemps de Prague (août 1968) fut le prélude à leur déchéance. Derrière son mur hideux, la RDA échappait pour un temps à cette lame de fond, et c’est ce qui me plut d’aller observer. Mais face à Lennon, que proposait Lénine ? Les 3 p : pénurie, police, prison. Qui peut être nostalgique de cela ?
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