Hélas, l'Élysée a refusé l'entrée de Molière au Panthéon. La raison : être né trop tôt aux yeux de la république. L'y faire entrer eut été« rompre avec cette histoire républicaine et patriotique ». Nombreux pourtant étaient ceux favorables à ce que l'on accorde cet honneur à Jean-Baptiste Poquelin, dont on a fêté le 400e anniversaire de la naissance le 15 janvier 2022.
À commencer par l'acteur Francis Huster, défenseur de l'idée dès 2019. Mais pour Bruno Roger-Petit, conseiller "mémoire" d'Emmanuel Macron, le« Panthéon est un temple laïque, enfant de la patrie républicaine, elle-même engendrée par les Lumières. C’est pour cette raison que toutes les figures qui y sont honorées sont postérieures aux Lumières et à la Révolution. »Il aura pourtant laissé une empreinte indélébile au sein de l'histoire et de la culture française : Les Fourberies de Scapin, Le Bourgeois Gentilhomme, L'Avare, L'École des femmes... Toutes ses pièces sont des chefs-d'œuvre.
Mais, comme pour Shakespeare, un débat acharné avait aussi éclaté autour de Molière. Comment un acteur supposé inculte aurait-il pu écrire les chefs-d'œuvre qu'on lui attribue. La thèse selon laquelle Pierre Corneille aurait été leur véritable auteur s'est popularisée au fil des décennies. Mais il aura fallu que la linguistique entre dans l'ère des ordinateurs et de l'intelligence artificielle pour définitivement régler la question ; « En étudiant un corpus de comédies en vers d'auteurs majeurs de l'époque de Molière et Corneille, l'analyse du lexique, des rimes, des formes de mots, des affixes, des séquences morphosyntaxiques et des mots de fonction ne donne aucun indice qu'un autre auteur parmi les grands dramaturges de l'époque aurait écrit les pièces signées sous le nom de Molière. » Voilà ce que deux chercheurs du CNRS et de l’École nationale des chartes sont parvenus à prouver fin 2019. Leur étude stylistique comparée est notamment parue sur Science Advance.
C’est Pierre Louÿs qui lança l’idée il y a cent ans de cela, dans un article du Temps, pour la pièce Amphitryon. Le soupçon s'étendra peu à peu à l’ensemble de l’œuvre de Molière. La théorie était corroborée au début des années 2000 par des travaux en linguistique soutenant que le vocabulaire des pièces de Corneille et Molière était trop semblable pour qu’elles aient pu être écrites par deux auteurs différents.
Pour trancher, les scientifiques ont eu recours aux techniques dites d’“attribution d’autorité”, reposant sur l’analyse statistique des habitudes d’écriture et des tics de langage de chaque auteur. En effet, chacun écrit un texte avec une fréquence particulière des mots, des expressions, ou des structures grammaticales. Même en essayant de copier le style d’un autre, certaines caractéristiques demeurent malgré tout. Ils ont comparé pendant trois ans le vocabulaire, la grammaire, les rimes et les mots-outils de 37 comédies en vers de Molière et de Pierre Corneille, mais aussi de Scarron, Rotrou et Thomas Corneille. Au final, les pièces de Molière possèdent des caractéristiques communes évidentes, qui n’ont rien à voir avec celles des autres auteurs de son époque. Ce sont même des œuvres de Pierre Corneille qu’elles divergent le plus !« Il est donc très probable que les œuvres de Molière n’aient jamais été écrites par Corneille, ni par un autre dramaturge de son temps… mais tout simplement par lui-même », concluent les chercheurs. Une raison de moins de lui refuser la Panthéonisation.
