Le pape, les enfants et le porno
Société

Le pape, les enfants et le porno

Par Louis Daufresne - Publié le 22/11/2019
S’il y avait une géométrie du vice, la Thaïlande en serait un centre de gravité : du Triangle d’or aux parties carrées de Patpong, le bordel à ciel ouvert de Bangkok, la drogue et le sexe y dessinent un cercle infernal. Plaque tournante et tournantes tout court du tourisme X, voilà ce qui résume ce pays bouddhiste que vient de visiter le pape François. Le laxisme des mœurs y fait équipe avec un régime férocement répressif. Le crime de lèse-majesté tourne comme la guillotine place de grève. Un exemple ? Rama X lui-même, intronisé en mai, avait récemment rétabli la polygamie (!) puis en octobre, le souverain déchut sa concubine… Sans doute un mauvais remake asiatique du match Maintenon-Montespan.


Dans ce décor ubuesque, comment le pape François est-il perçu par les bouddhistes ? Comme le « roi des chrétiens » ! Pour le pape des pauvres, ça frise l’incident diplomatique. On ne sait si Sodoma de Frédéric Martel se vend bien à Bangkok. Si ça se trouve, dans leur esprit, le Vatican n’est qu’un lieu de débauche parmi d’autres… Quel poids les paroles du pape peuvent-elles avoir dans cet univers mental ? À peu près celui d’une mouche qui taperait sur un gong. Bien qu’il soit en progrès, le catholicisme aux yeux bridés reste un phénomène absolument marginal. Serait-il plus facile de prêcher dans le désert que dans la jungle ? Peut-être mais ce n’est pas une raison pour se taire : « L'avenir de nos peuples dépend (…) de la manière dont nous garantissons à nos enfants un avenir dans la dignité », s’est écrié hier le pontife dans son premier discours prononcé en Thaïlande. Il y marquait ainsi le 30° anniversaire de la Convention relative aux droits de l'enfant et de l'adolescent. Dans ce bout d’Asie, on confond éducation sexuelle et élevage industriel. Jamais l’Occident ne l’a désigné comme un axe du mal.


Il n’y a pas que l’arme nucléaire qui serve d’assurance-vie à des régimes de fer et de fou. La drogue fournit aussi tous les passe-droits. Si le Vietnam, le Cambodge et le Laos furent dévastés par les Américains et les communistes, la Thaïlande passa au travers du tapis de bombes de la guerre froide.


Retour à Paris, pendant que le pape continue vers le Japon : et si le problème devait se traiter en amont ? Mercredi dernier, autre discours, autre chef d’État et le costume gris remplace le kesa couleur safran : Emmanuel Macron parlait de pornographie à la tribune de l’UNESCO. Ses paroles faisaient écho à celle du pape sur la dignité des enfants. Le président de la République a donné six mois aux « acteurs de l'internet » pour « mettre en place un contrôle parental par défaut », plutôt qu'une option volontaire comme c'est le cas actuellement. Il veut inscrire dans le code pénal que « le simple fait de déclarer son âge en ligne ne constitue pas une protection suffisante contre l'accès à la pornographie des mineurs de moins de 15 ans. » « Je sais que ça gêne beaucoup d'opérateurs numériques », a dit le chef de l'État mais « si dans six mois nous n'avons pas de solution, nous passerons une loi pour le contrôle parental automatique ». Selon le Plan contre les violences faites aux enfants, un « comité des usages » doit évaluer d'ici mi-2020 les progrès réalisés par les opérateurs.

Cette initiative appelle plusieurs commentaires :


« Ce sont des mesures qu'on soutient depuis 15 ans », explique Justine Altan, directrice générale de l'association e-Enfance. Avec elle, on se dit que les pouvoirs publics agissent enfin contre la « marée noire » du porno. Une pétition existe même pour faire de la protection des mineurs contre la pornographie la Grande cause nationale pour 2020. Il y a toutefois un paradoxe : est-ce à l’État de se substituer aux parents défaillants qui laissent leurs enfants seuls sur Youtube et Facebook en pensant que ces plateformes ont des machines qui les protègent ? S’il le fait ici, il pourra le faire ailleurs. Face à YouTube, seule une politique publique axée sur la famille peut se révéler efficace dans ce domaine. Les barrières informatiques, comme tous les murs, sont faites pour tomber ;


- levons un malentendu : Emmanuel Macron ne s’attaque pas au porno mais veut réguler son accès. Il est facile de passer par la fenêtre grande ouverte du X. Sauf que « le gouvernement envisage d'utiliser France Connect, qui n'a pas du tout été créé pour ça », relève Arthur Messaud, juriste à l'association la Quadrature du Net, interrogé par l’AFP. Cette solution d'identité numérique permet de se connecter aux sites officiels (comme les impôts) en utilisant une même identité vérifiée. Le Royaume-Uni vient d’abandonner cette piste car les méthodes (contrôle de passeport ou de cartes de crédit) représentent un risque pour la vie privée et on peut les contourner en passant par un réseau privé (VPN). Faire disparaître l’anonymat n’est point la panacée. « Le jour où France Connect est exigé pour se connecter à Youporn, l'État n'a plus qu'un petit curseur à bouger pour l'exiger sur Facebook », craint Arthur Messaud. Et là, après la Thaïlande, bienvenue en Chine ;


- la quasi-totalité du porno est produite aux États-Unis. Tout le pouvoir de ce pays repose sur l’image qu’il donne et les images qu’ils diffusent. La Maison Blanche est une annexe d’Hollywood. « On asservit plus facilement les peuples avec la pornographie qu’avec les miradors », disait Soljenitsyne. Nos élites US friendly réfléchissent-elles à cette dimension ? Quand Laurent Wauquiez dit chez Ardisson qu’il regarde Youporn « comme tout le monde », on peut en douter ;


- dernier point : tout le système politique ou presque adhère à la pensée de la déconstruction : je ne suis plus mon corps mais « j’ai » un corps. On peut en faire ce que l’on veut, avec qui on veut, on peut même déjà en changer. Le porno conditionne des masses énormes vers le règne d’Homo Deus. Et certains pensent que ce règne n’aura pas de fin ...
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Comment Macron veut empêcher les mineurs d’accéder aux sites pornographiques
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