Le nouveau gouvernement d'emblée désuni
Quel est le premier des dossiers dont doit s'emparer le Premier ministre ? Une tragique actualité vient de désigner le plus urgent, le plus brûlant, le plus révoltant : l'insécurité liée à l'immigration. Les Français sont une fois de plus bouleversés par un nouveau meurtre : celui de Philippine, 19 ans, agressée dans le bois de Boulogne, le 20 septembre, en sortant de l'Université Paris-Dauphine (voir le portrait de Philippine de Carlan et l'homélie de son enterrement sur le site Aleteia). Le suspect, arrêté en Suisse, est un Marocain sous OQTF (obligation de quitter le territoire) déjà condamné pour viol en 2019 à 7 ans de prison alors qu'il était encore mineur... Il en était sorti en juin 2024 pour être placé en centre de rétention administrative (CRA) en attente d'un renvoi au Maroc. Début septembre, le laisser-passer marocain tardant à être délivré, le détenu avait été libéré... La juge de la liberté et de la détention avait commenté cette libération hasardeuse en indiquant que le risque d'une récidive « ne peut être exclu » !
Encore une faillite de la politique qui « non seulement n'a pas protégé Philippine mais a protégé son bourreau » s'est indigné Vincent Trémolet de Villers sur Europe 1 (25 septembre). « Ce nouveau drame se résume en deux phrases : la politique pénale est défaillante, la politique d'immigration est inexistante ». Un avis très largement partagé (par exemple, sur ce plateau de LCI, 25 septembre).
Trois jours après ce meurtre atroce, une passe d'armes par médias interposés a opposé le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, et le Garde des Sceaux, Didier Migaud. Celui-ci, ancien député socialiste, a cru bon de tacler son collègue de l'Intérieur qui avait dénoncé « l'inexécution des peines » et proclamé sa volonté de « changer la politique pénale » en passant par des « modifications législatives ». « Le taux d'exécution des peines n'a jamais été aussi élevé qu'en 2023 » avait rétorqué Didier Migaud. « Il faudra que je puisse contribuer à l'information de mon collègue, Bruno Retailleau ». Le ministre de la Justice avait ajouté à cette saillie : « Il faut redonner confiance à nos concitoyens dans leur justice. Ils ont parfois le sentiment que la justice est lente, ne condamne pas suffisamment. Ce qui n'est pas toujours exact. » Une nouvelle version du « sentiment d'insécurité »...
Peu après ce débat médiatique (ouvert le soir du 23 septembre, depuis les JT de TF1 et de France 2 où les deux hommes étaient simultanément interviewés) nouveau couac, cette fois entre le Premier ministre, Michel Barnier, et son ministre de l'Économie, Antoine Armand. Interrogé sur France Inter le 24 septembre, ce dernier avait affirmé que le RN n'appartenant pas à « l'arc républicain » (à la différence de La France insoumise !), il n'était pas question de le consulter... Le Premier ministre avait aussitôt réagi : « Michel Barnier a recadré "clairement et fermement" son ministre de l'Économie » selon Franceinfo le 24 septembre (il s'est même fendu d'un coup de fil à Marine Le Pen pour démentir son ministre). Le tout suivi d'un « rétropédalage » de Bercy, rapporte L'Express (24 septembre) : « Le ministère de l'Économie et des Finances a fait savoir qu'Antoine Armand allait finalement recevoir "toutes les forces politiques représentées au Parlement" au sujet de la situation très dégradée des finances publiques. "La situation économique et financière de la France réclame une concertation large des élus de la Nation", a indiqué le ministère. »
Certaines passations de pouvoir entre anciens et nouveaux ministres laissaient augurer de tels incidents. Elles ont « donné à voir un étrange spectacle, laissant croire [que] rien n'avait changé ni ne changera dans les politiques menées, comme si les macronistes n'avaient pas perdu les élections législatives » remarque Valeurs Actuelles (25 septembre). Si dans la cour de Matignon (5 septembre), Michel Barnier ne s'était pas laissé impressionner par l'héritage que prétendait lui léguer Gabriel Attal, à Bercy, la passation de pouvoir entre Bruno Le Maire et Antoine Armand (22 septembre) a donné lieu à une scène surréaliste. Devant tout le personnel du ministère réuni dans une atmosphère festive, l'ancien et le nouveau ministre ont fait assaut d'amabilité et de congratulations. Antoine Armand a rendu un vibrant hommage à son prédécesseur en s'estimant « chanceux d'hériter d'un tel bilan » rapporte Le Point (22 septembre). Trois jours plus tard (25 septembre), devant l'Assemblée nationale, le même Antoine Armand, ministre de l'Économie, flanqué de son collègue Laurent Saint-Martin, ministre des Comptes publics, annonçait aux députés « un déficit vertigineux : supérieur à 6 % en 2024 au lieu de 5,6 % », commente La Tribune (25 septembre).
Ces tensions intergouvernementales et la tragédie nationale du meurtre de Philippine avivent l'attente du discours de politique générale que le Premier ministre doit prononcer le 1er octobre. C'est pour le préparer en leur rappelant « qu'il demeurait le seul arbitre de la politique à mener » que Michel Barnier a réuni à Matignon, le 26 septembre, Bruno Retailleau et Didier Migaud (selon le JDD en lien ci-dessous).