Une montagne de bon sens
Économie

Une montagne de bon sens

Par Louis Daufresne - Publié le 16/09/2019
Tous les sommets ne font pas des pics d’audience. Si fin janvier le Forum économique mondial de Davos reçoit beaucoup d’échos, très peu de gens entendent parler du Zermatt Summit dont la 8e édition vient de se dérouler du 12 au 14 septembre. Certes, le périmètre de ces deux rendez-vous du capitalisme planétaire n’est pas comparable. Davos est une énorme machine où se retrouvent les happy few de la finance et de la politique. Zermatt est confidentiel (200 personnes tout au plus). Sa communication est minimale et son esprit pas du tout show off. On y vient pour s’y dépayser à l’ombre du Cervin, sans doute la plus belle montagne du monde. Les lieux changent les êtres, et jusqu’à un certain point d’équilibre, on peut y nouer de vraies relations amicales. C’est la conviction de Christopher Wasserman, fondateur de ce sommet. Un jour, cet industriel suisse fut présenté à Antonin Pujos, ex-banquier français et au frère Nicolas Buttet, prêtre suisse ordonné à Fréjus-Toulon. Fondateur de la fraternité Eucharistein, le frère Buttet fut à 23 ans le plus jeune député au parlement cantonal du Valais. Fort d’un carnet d’adresses dans les milieux politiques et économiques, il avait l’idée d’organiser une sorte de « Davos éthique » qui croiserait la DSE (doctrine sociale de l’Église) et la RSE (responsabilité sociale des entreprises). De cette rencontre naquit le Zermatt Summit, lequel se finance par des dons et connaît une certaine précarité. Rien à voir avec Davos, donc. Pourtant, entre les station des Grisons et du Valais, il y a des slogans assez proches : Committed to improving the state of the world pour Davos et Humanizing Globalization à Zermatt.

Mais la comparaison s’arrête là. Davos naît en 1971, Zermatt en 2010, après la crise des subprimes et le risque de chaos de l’économie mondiale. Il fallait réagir. Le second est la réponse à l’échec du premier, et c’est ce qui lui donne toute sa saveur. La nature de cette réponse mérite une attention particulière : les promoteurs du Zermatt Summit invitent l’être humain à se remettre en cause, estimant que changer les règles du jeu ne suffit pas. La financiarisation est un cancer mais l’histoire a de quoi vacciner contre la radicalité des idéologies passées et l’altermondialisme n’est pas dénué d’ambiguïtés dans son rapport à la violence. Le Forum social mondial, né à Porto Alegre (Brésil) en 2001, instaure un clivage qui, au bout du compte, fait le jeu des riches et cloisonne les pauvres. Vouloir subvertir le capitalisme, c’est se condamner à une impasse. « On peut faire le bien et gagner de l’argent », s’écrie Antonin Pujos, secrétaire général de la fondation Zermatt Summit. Le profit ne signifie pas que l’on asservisse les hommes et détruise la planète. Ce postulat mise sur la créativité, la générosité et, disons-le, l’intelligence de l’être humain. Bien que le sommet se déroule en anglais, les speakers n’ont pas l’arrogance des startuppers. Ils viennent pour promouvoir l’économie circulaire ou régénératrice, fondée sur le fait d’abolir les déchets en allant y trouver leur valeur et donc une « durabilité financière ». Cette démarche se veut originale. Elle fait écho au combat de Gunter Pauli, connu comme le « Steve Jobs du développement durable » ou « pape de l’économie bleue ». Ce grand lecteur du Petit prince, orateur génial, subjugue tout son monde en illustrant un principe simple : la nature ne produit pas de déchets ; observons-la et faisons comme elle. Le Zermatt Summit donne ainsi la parole à des entrepreneurs innovants dont les prestations sont entrecoupées par des œuvres classiques de Beethoven interprétées par la pianiste de renom Elizabeth Sombart, épouse de Christopher Wasserman.

Prenons juste deux exemples parmi ces prestations : Marco Simeoni, fondateur de Race for Water, a besoin de 12 mds $ pour dépolluer les océans de tous les plastiques qu’on y déverse (un camion poubelle chaque minute !). Tout en les absorbant, son prototype d’usine mobile abritée à Vernon (Eure) fabrique un gaz produisant de l’électricité. Qu’attendent l’ONU, la Banque mondiale et autres bâilleurs pour répondre à cette urgence écologique ? Dans un autre domaine, Sofia de Meyer, fondatrice d’Opaline, récupère les fruits destinés à être jetés pour en faire des jus haut de gamme. Tout se fait selon les critères du localisme. Elle n’exporte pas ses produits mais uniquement son modèle. Les salariés possèdent la société qui est transparente sur tous les salaires. Quand on y postule, il faut expliquer sa « mission de vie ». « Le sens de ma présence ici-bas, telle est la question essentielle », résume Sofia de Meyer. Celle-ci va au-delà du label « B Corp » que certaines entreprises utilisent pour habiller leurs pratiques d’un cache-sexe cosmétique. Faire évoluer le capitalisme en renvoyant à la responsabilité des décideurs. Le pari est peut-être vain. Mais à l’ombre du Cervin, il grandit et fait grandir.
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