Sommes-nous tous complotistes ?
Société

Sommes-nous tous complotistes ?

Par Judikael Hirel - Publié le 23/12/2022 - Photo : Pixabay
C’est sûrement l’un des mots-clés les plus frappants de ces dernières années : complotisme. Entre mouvements sociaux et crise du Covid, qui est complotiste, qui ne l’est pas, et sur quels sujets ? Où s’achève l’exercice de l’esprit critique, où commence le complotisme ? Il semble en tout cas que le gouvernement ait décidé de tout mettre dans le même sac, de mélanger les sujets. En effet, des assises des dérives sectaires et du complotisme devraient être organisées début 2023. Une annonce faite au lendemain de la présentation du dernier rapport de la Miviludes, soulignant une croissance d’un tiers des saisines, avec plus de 4000 demandes l’an passé. Mais pourquoi cette assimilation des deux phénomènes ? "La porosité entre les deux et leur interdépendance tend à s’accroître", a affirmé le secrétariat d’État chargé de la citoyenneté. L’un, le complotisme, mènerait à l’autre, la dérive sectaire. "J'entends adapter l'action de l'État, au sortir des assises des dérives sectaires et du complotisme, afin de pouvoir bénéficier de tous les outils nécessaires pour combattre efficacement ce fléau", a déclaré Sonia Backès.

Mais de quel fléau, et de quels outils, parle-t-elle ? Dans les faits, seuls 148 dossiers, soit 4% des saisines de la Miviludes, concernaient le complotisme et "la mouvance antivax". Par ailleurs, sur ces 4000 saisines de la Miviludes l’an passé, une vingtaine seulement ont débouché sur un signalement au procureur de la République. Un bilan un peu léger pour organiser de telles assises... On a l'impression que le recours à ce terme sert surtout à disqualifier d’emblée toute tentative de critique du récit officiel. Pourra-t-on demain, et d’ailleurs peut-on encore actuellement, interpréter ou critiquer des éléments de langage issus de la stratégie de communication gouvernementale ? C’est aussi une question de "timing" : certaines "fake news" largement dénoncées hier s’avèrent parfois vraies quelques mois plus tard. On peut ainsi lister, par exemple, des mesures sanitaires, comme le port du masque, l’affirmation "Tous vaccinés, tous protégés", ou le fait de se questionner sur l’origine même du virus du Covid. Voire l’établissement d’un pass sanitaire ou, demain, d’un futur pass Carbone. Il en est de même quand il s’agit d’évoquer l’existence d’un lien entre immigration et délinquance, ou les changements démographiques inévitablement engendrés par une immigration massive. Complotisme, raccourcis mensongers... Du moins jusqu’à ce que ce soit un ministre qui soudain en parle, avec toute l’autorité de sa fonction.

Le recours au mot "complotisme" vise clairement à faire taire, à discréditer le discours tenu. Qui est complotiste n’est pas crédible, ne mérite ni votre confiance, ni votre attention. On retrouve en cela la mise en application du Nudge, cet art de faire passer la pilule des mesures coercitives. Le vrai pouvoir résidant aussi dans le fait de décider de ce dont on peut ou non parler, ce concept permet l’invisibilisation durable de certains sujets dans les colonnes des médias. Une façon, comme l’a récemment expliqué le sociologue Mathieu Bock-Coté, "de mater la possibilité même de dissidence interprétative". Les récents aveux de l'ancien ministre de l'Intérieur Gérard Collomb sur ses silences et leurs raisons sont en l'occurrence éloquents.

Alors, sommes-nous tous complotistes ? À un moment ou à un autre, sans doute, si l’on s'en tient à la vision du gouvernement. Et à la définition du Larousse : est complotiste, "celui qui récuse la version communément admise d'un événement et cherche à démontrer que celui-ci résulte d'un complot fomenté par une minorité active." Oser exprimer un avis divergent sur certains sujets de société vous range-t-il donc d’emblée dans la catégorie des complotistes ? Suffit-il d’exprimer son opposition au système politique, économique, national ou international actuel, ou aux élites, pour être taxé de complotisme ? Il s’agit tout simplement, dans ce cas, de recréer le délit d’opinion en sanctionnant tout esprit critique. Avec un contour aussi flou et subjectif, voire instrumentalisé, de la notion même de complotisme, il conviendra, comme l’affirmait justement le président de la Miviludes en introduction de son dernier rapport, de veiller "scrupuleusement à distinguer ce qui relève de la liberté de conscience ou des dérives porteuses de préjudices".
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Dérives sectaires : le gouvernement va organiser des assises
La Croix
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