Sodoma : pourquoi il faut se mettre Martel en tête
Spiritualité

Sodoma : pourquoi il faut se mettre Martel en tête

Par Louis Daufresne - Publié le 25/02/2019
Rome et Sodome, même combat ! Quand calotte et capote fricotent, ça donne Les Précieuses ridicules et La Philosophie dans le boudoir. Deux mille ans d’histoire de l’Église pour en arriver là : le sexe, tel un égout collecteur, résorbe tous les conflits intérieurs, périme tous les débats d’idées.

Fatigue du sens.

Sodoma n’est pas une enquête sur un Vatican secret – qui l’est d’ailleurs bien moins que Monsanto, UBS, le Duché du Luxembourg ou le Grand Orient. Il s’agit d’une étude de SVT sur un biotope gay unique en son genre. 630 pages de confidences signées Frédéric Martel, journaliste à France culture mais surtout sociologue bien introduit dans le milieu. C’est sa neuvième enquête depuis Le Rose et le Noir paru en 1996. L’ancien conseiller de Martine Aubry se défend de tout parti pris hostile : « Je suis un laïcard très modéré, un athée de culture catholique », nuance-t-il d’une petite voix teintée de l’accent du Vaucluse dénotant quelque peu avec son CV d’attaché culturel au consulat de Boston.

Armé de son flair intuitif – le fameux « gaydar » – Martel renifle les homos mieux qu’un chien truffier. Idéal pour débusquer les lapins en soutane rose, ceux qui s’ignorent et ceux qui se cachent : tout le monde y passe, les conservateurs plus que d’autres car c’est la tartuferie qui fait jaser. Sans animosité ; tout en onctuosité. Sa démarche ne relève ni de la délation – il ne cite pas de noms de prélats vivants, ni de l’information – il ne prouve rien ou ne le souhaite pas. Martel est dans l’insinuation, ce qui atténue la valeur scientifique de sa démarche car trois soupçons ne font pas une vérité, au moins pour deux raisons :

- la première tient au manque de prudence : comment repérer ce qui est vrai au milieu de tous les ragots dont pullule le quotidien de ces vieux ecclésiastiques souvent oisifs et rancuniers ? Tout vaticaniste sait la distance qu’il faut mettre entre les hommes, les actes et les discours ;

- la seconde relève de l’excès de connivence. Depuis belle lurette, le milieu LGBT détourne les codes catholiques en les théâtralisant, à l’image des « nonnes » lesbiennes des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Martel confond ainsi l’original et la copie ou plutôt plaque la copie gay sur l’original catholique, assimilant ainsi l’esthétique baroque, guindée ou froufroutée à un code « de la paroisse ». Comme l’aiguille aimantée d’une boussole s’affole en plein orage, le radar de Martel bipe dans toutes les alcôves du Vatican. « Le livre est très en-deçà de la réalité », précise-t-il avant de confier que « si on publiait [ses] 400 heures d’enregistrement, le Vatican pourrait fermer ». Tout monsignore serait ainsi un homo qui s’ignore. Lui, l’expert, l’affirme, sans que personne ne puisse finalement le contredire. Mais qui s’y risquerait ? Sodoma, c’est 50 nuances de gays, « d’innombrables individus isolés », souligne l’auteur. Isolés ou organisés ? Martel s’efforce de ne pas accréditer « le fantasme d’un lobby au sein de l’Église ». Mais malgré lui, il sert la cause qu’il combat :

- d’abord, le Vatican n’apparaît plus comme le bastion de l’hétéro-fascisme, image renvoyée par les media depuis Paul VI. La facilité avec laquelle il converse avec les « princes de l’Église » les dépouille de leur antique raideur et démythifie la citadelle imprenable. C’est en sifflotant et sirotant des liqueurs que le soldat Martel plante son drapeau arc-en-ciel en territoire ennemi.

- ensuite, toujours malgré lui, il fait sauter une mine conceptuelle : le lien entre homosexualité et pédophilie. Jusqu’à présent, on distinguait l’orientation de la perversion, le consentement de l’agression. Celui qui joue à confondre les deux risque l’excommunication pour homophobie. Mais sous l’effet d'on ne sait quelle vaseline intellectuelle – à moins que ce ne soit celui de sa réputation d’auteur libre et inclassable – Martel se prend quelque peu les pieds dans les épais tapis rouges de la cité romaine : « Il y a un lien complexe, concède-t-il, je suis triste de le dire en tant que gay. » L’auteur renfloue ainsi en munitions ses adversaires conservateurs du clan Vigano. Bien sûr, telle n’est pas son intention. Selon lui, la gay attitude transcende les clivages : il n’y a pas un lobby faisant face aux gardiens de la morale mais des clans gays qui règlent leurs comptes entre eux. Les conservateurs sont ainsi pris à revers comme le cardinal Burke taxé d’homophile, c’est-à-dire de gay non pratiquant : « Il interdit aux autres ce qu’il s’interdit à lui-même », exégétise l’auteur. Info ou intox ? Ce genre de procès d’intention alimente l’idée populiste du « tous pourris », ce qui fait le jeu des conservateurs. Même chose pour le Synode sur la famille. Martel reconnaît que l’entourage du pape actuel voulait infléchir la doctrine sur les divorcés remariés, ce qui donne une prise à la rhétorique des « dubia ». Concernant la pédophilie, François s’emploie à ne l’associer qu’au cléricalisme, maladie du pouvoir, alors que les conservateurs la rattachent au « fléau de la cause homosexuelle (…) protégé par la conspiration du silence », comme les cardinaux Burke et Brandmüller l’écrivirent récemment dans une lettre ouverte. Cet amalgame peut s’abreuver à la thèse de Sodoma où affleure « la double vie, la schizophrénie, l'hypocrisie, [la] culture du secret [qui] est une source de distorsion de tous les aspects de l'Église ». En le « martelant », l’auteur énonce implicitement qu’il y a un lien mécanique entre pédophilie et homosexualité. Car un évêque secrètement gay protégera un pédophile parce qu’il aura peur en cas de procès que son homosexualité soit médiatisée et dénoncée : toute l’abomination du système endogame est là : des clercs qui se cooptent en confondant jaquette et surplis. Ce phénomène « homosexualise l’institution » tout entière et explique la résistance passive de l’épiscopat mondial.

On a beau se garder de tout amalgame, on lie forcément les dossiers, comme le souhaite la frange conservatrice. Même s’il l’apprécie et le cite volontiers, Martel ne rend pas service au pape François qui fait tout pour séparer les choses, comme l’atteste le cas McCarrick. « C’est le jour où il apprend qu’il y aussi agressions sexuelles, précise l’auteur de Sodoma, qu’il décide de défroquer l’archevêque américain », bailleur de fonds du Vatican. En clair, le pape – dans la ligne de son « Qui suis-je pour juger ? » – ne l’aurait pas sanctionné s’il s’était simplement agi de relations homosexuelles consenties ! Dès lors, il importe peu que François compare les abus sur mineurs à des « sacrifices de rites païens » et parle d’un clergé « devenant un instrument de Satan ». Ces formules gonflées à l’hélium spirituel apparaissent comme une diversion tant que les actes d’homosexualité, jugés par le magistère comme « intrinsèquement désordonnés », ne seront pas frontalement abordés. Oui ou non, l’Église doit-elle bouger sur ce point ?

En réalité, c’est la question que soulève Martel même si, Michel-Ange mi-démon, il en a déjà la réponse : la chasteté étant à ses yeux contre-nature, son intention ultime est d’obtenir une caution morale à un comportement qui ne l’est pas. Bien qu’il affirme « ne pas avoir d’agenda », Martel aspire à rebâtir une morale sur des fondements opposés : puisque la vertu fabrique des névrosés et des criminels en puissance, remplaçons-la par le vice et tout sera résolu ! Les féministes en ajoutent une couche : puisque la perversion macère dans un cléricalisme masculin dopé par une doctrine répressive, ouvrons le sacerdoce au beau sexe, finissons-en avec le célibat et passons au catholicisme 2.0 ! Au bout du compte, l’auteur de Sodoma espère que le pape François sera « le Gorbatchev de l’Église ». Pourquoi pas ? Mais admire-t-il la Russie de Poutine ?

Quoi qu’il en soit, l’audace de Frédéric Martel appelle à revoir les missions des journalistes accrédités au Saint-Siège – qui passent maintenant pour des godillots complices de la culture du secret. Elle invite aussi à préférer les hommes aux structures : Martel se rappelle l’abbé Louis, prêtre de son enfance, mort du sida. Il se souvient aussi que la hiérarchie ne traita ses souffrances qu’avec indifférence.
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