Séparatisme : le grand méchant flou
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Séparatisme : le grand méchant flou

Par Louis Daufresne - Publié le 05/02/2021
Covid oblige, lundi sur France Inter, Gérald Darmanin usait de la métaphore médicale pour vanter la loi « confortant le respect des principes républicains » : « Notre pays, dit le ministre de l’Intérieur, est malade d'un séparatisme dont le premier d'entre eux, l'islamisme, gangrène notre unité nationale. » La laïcité qui garantit « la pluralité religieuse, la neutralité de l'État et de ses agents, et la liberté de culte », est le « remède contre une partie de ce qui nous ronge ». En gages de bonne volonté, Gérald Darmanin annonça la réouverture anticipée de la mosquée de Pantin (Seine-Saint-Denis), accusée d'avoir relayé l’appel au meurtre de Samuel Paty. Cette annonce a de quoi décontenancer : la mosquée était fermée pour six mois, ce qui paraît dérisoire au regard de la gravité du crime. Ensuite, la rouvrir prématurément envoie aux islamistes un double message, soit de soumission, soit de collusion. Entre les deux, il y a ce qu’on appelle l’électoralisme.

C’est, semble-t-il, la seule ligne qui vaille à 18 mois de la présidentielle : ne pas s’aliéner le vote musulman (si tant est qu’il existe) et surfer sur du « laïquement correct » pour rassurer le reste de l'opinion. Le groupe LR voulait faire interdire le port du voile à l'université et pour les accompagnatrices scolaires. Il échoua. La réponse de Gérald Darmanin fut habile : « Humilier l'identité musulmane, c'est prendre le risque de la radicaliser (...) La laïcité c'est aussi dire à tout le monde qu'on a le droit de croire. » Et d’ajouter, un rien tartuffe : « Je ne dis pas que le voile n'est pas un moment de prosélytisme. Je dis qu'il ne l'est pas à 100 % » Poussée à la surenchère, l’opposition vogue sur le radeau idéologique du RN, à l’image de Guillaume Peltier, numéro 2 de LR, exigeant la dissolution des trois fédérations ayant refusé de signer la « charte des principes pour l'islam de France ». Sur France Inter, Gérald Darmanin débouta « ceux qui souhaitent absolument prendre des mesures encore plus dures, (…) simplement pour se refaire la cerise politique. [Ce] sont les idiots utiles de ces islamistes ».

Piégée et extrémisée, la droite essaie de nuancer. Pour Damien Abad, chef des députés LR, il ne faut pas que « la lutte contre l'islamisme radical aboutisse à un affaiblissement de la liberté pour les Français sans entraver celle des islamistes ».

C’est tout le problème.

Ce projet de loi vise-t-il vraiment l’islamisme, lequel n’est même pas nommé ?Comment soigner une maladie sans mettre des mots dessus ? Le gouvernement s’aligne en fait sur sa gauche. Pour ne pas discriminer les musulmans, on verse dans « l’islamalgame » : « Ce qu’on reproche à l’islam est partagé par les trois religions monothéistes », ose Éric Coquerel. « En réalité, derrière la question du voile, il y a surtout une discrimination anti-musulman », ajoute le député LFI, auteur d’une tirade mémorable : « Savez-vous que le voile d’une mariée chrétienne signifie le fait qu’il y a une soumission de la femme à son époux ? Est-ce que vous allez demander dorénavant, au nom de ce que vous pensez, à ce que les mariages religieux ne se fassent plus de la même manière ? »

Résultat ? Contre la gangrène, c’est plus la boucherie que la chirurgie. Lutter contre l’instruction en famille coalise tous les défenseurs de la liberté scolaire. S’attaquer à « la haine en ligne » fédère la toile contre ce concept fumeux. Rendre les cultes plus transparents irrite les responsables de toutes les religions : « Quand Marlène Schiappa [nous] parle de certificats de virginité, c'est la première fois que j'en entends parler en 50 ans », s’emporte Clément Diedrichs, directeur général du Conseil national des évangéliques de France.

Gérald Darmanin le dit : « La loi séparatisme (…) donne des pouvoirs extrêmement forts à l’État » mais pourquoi faire ? Quand il affirme que « la loi de la République est supérieure à la loi de Dieu », ne devient-il pas à son tour « l’idiot utile » de ce qu’il prétend combattre ? Comment cette confusion des ordres pourrait-elle convaincre les musulmans d’adhérer à notre modèle ? Comment ne pas y voir de l'autoritarisme ?

Depuis l’origine, la République fait œuvre de séparation, nom éponyme de la loi de 1905 des Églises et de l’État. En 2012, Vincent Peillon, alors ministre de l’Éducation nationale, estimait que « pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ». On pourrait ajouter biologique avec Jean-Louis Touraine, rapporteur du projet de loi bioéthique – qui veut « transformer l’humanité ».

Où donc situer le séparatisme ? That is the question. La droite manque d’un logiciel. Quand le groupe LR veut inscrire dans l'article Ier que « nul individu ou groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer de la règle commune », on demeure dans le flou. Qu'est-ce que la règle commune dans un monde, le nôtre, où ni les âmes, ni les cœurs ni les esprits n’en ont plus ?

Au-delà du Covid, le vide.
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