« Semaine sanglante » : mémoires vives et peu communes
Histoire

« Semaine sanglante » : mémoires vives et peu communes

Par Louis Daufresne - Publié le 11/06/2021
Les catholiques peuvent-ils encore sortir dans la rue pour célébrer leurs héros ? Le 29 mai, à l'appel de cinq paroisses du XXarrondissement, quelque 300 fidèles voulaient relier le square de la Roquette à l’église Notre-Dame-des-Otages, rue Haxo, deux hauts lieux de la Semaine sanglante (21-28 mai 1871), l’épilogue de la Commune de Paris. Le 24 mai à la prison de la Roquette (démolie en 1900), les communards assassinèrent l'archevêque de Paris Mgr Georges Darboy et quatre ecclésiastiques ; le 26 mai rue Haxo, les émeutiers massacrèrent onze religieux (outre 35 gendarmes et quatre « mouchards »).  

150 ans après ces crimes, la procession, déclarée et autorisée, aurait dû parvenir pacifiquement à son terme. Sauf que le même jour, la CGT, le PCF, LFI, le NPA, la Libre pensée et la Ligue de l'enseignement organisaient une « montée au mur » des Fédérés au cimetière du Père Lachaise. Et ce qui devait arriver arriva : les pèlerins se virent attaquer au cri d’« à mort les Versaillais ! ». 

Un cri, en l’occurrence, absurde.

Les religieux martyrs étaient restés auprès du petit peuple de l’est parisien. Ils n’avaient aucune accointance avec Adolphe Thiers, précurseur de la IIIe République, autoritaire, bourgeoise et anticléricale. Les communards voulaient échanger l’archevêque (et même tous les otages) contre Auguste Blanqui, le révolutionnaire retenu prisonnier à Cahors. Une médiation eut lieu sous l’égide de Raoul Rigault et de deux émissaires, le blanquiste Benjamin Flotte et l’abbé Lagarde, vicaire de Mgr Darboy. Mais Thiers refusa toujours cette transaction. L’obstination du chef du gouvernement versaillais fit perdre toute valeur politique aux otages catholiques. Même si Thiers ne l’avait ni souhaité ni envisagé, son attitude entraîna leur élimination physique. L’extrême-gauche se fût montrée cultivée et intelligente si elle eût pris la peine de contextualiser cette « marche des martyrs de la Commune ». Mais son sectarisme l’aveugle et dévitalise le terme de « versaillais ». Celui-ci ne désigne plus qu’un catholicisme bourgeois. Et peu importe si les paroissiens mélangés du XXe arrondissement ne répondaient point à cette caricature.

La procession devait s'étaler sur 4 km mais le cortège, en l’absence de service d’ordre et de protection policière, dut se réfugier dans l'église Notre-Dame de la Croix. « On a attendu en priant, jusqu'à ce que la police nous exfiltre », raconta l'organisateur au Figaro. Certes, il n’y eut pas de mort mais si l’affaire meubla quelques plateaux TV, les media s’en firent l’écho sans émotion particulière. Quelques voix s’indignèrent en présumant que si la foule avait été d’une autre religion, les media se seraient jetés sur l’événement et que préalablement, les autorités auraient pris soin de faire respecter l’ordre public.

D’ailleurs, comment expliquer la désertion policière ? Il y a deux raisons : 

1. Les catholiques étant pacifiques, il est inutile de mobiliser la troupe, se dit-on en préfecture.  

2. Les forces de l’ordre attirent les fauteurs de trouble. Par ruse, il valait mieux que la marche passât le plus inaperçu possible. N’épiloguons pas sur ce calcul qui se révéla spécieux.

Il demeure qu'un double message est envoyé aux catholiques : 

1. La République ne les défendra pas plus que les autres, alors que le ministère de l’Intérieur les sait plus vulnérables. On recensa 1052 faits antichrétiens en 2019 contre 687 à caractère antisémite et 154 antimusulmans, note l’écrivain Thibault de Montaigu, dans une vigoureuse tribune sur « les martyrs catholiques, cibles de la cancel culture ».

2. Quoique minoritaires, les catholiques sont les invisibles de la République. L’inégalité de traitement est flagrante, si on compare les pèlerins du 29 mai au happening antiflic « Justice pour Adama » du 2 juin 2020. Il y a un an, en pleine urgence sanitaire, 20000 personnes s’étaient réunies devant le tribunal de Paris après la mort de George Floyd aux États-Unis. Assa Traoré ferait même la une du magazine Time ! Invisibilité d’un côté, surexposition de l’autre. C’est le pouvoir de nuisance qui fait la force d’une minorité et à ce jeu, les martyrs et ceux qui les honorent perdent à tous les coups.  

Dans une tribune relayée par La Croix, une quinzaine de catholiques juge que cette procession était une « aberration spirituelle et politique » qui « enferma l’Église » et suscita « en retour la haine mimétique ». Tout comme les agresseurs des pèlerins, les signataires pointent « le copinage structurel [du] clergé avec la bourgeoisie capitaliste ». Selon eux, on ne peut opposer « la foi des otages assassinés à l’athéisme des communards » ni « témoigner de l’amour de Dieu sans lutter et prier pour la justice ». 

Ces critiques sont infondées et iréniques.

Dans une précédente LSDJ (n°1227), nous citions quelques avancées obtenues par l’insurrection parisienne mais celles-ci ne sauraient faire oublier l’origine des faits : la présence d’armes dans Paris et la furie révolutionnaire s’emparant des émeutiers qui les avaient prises et qui, loin de toute pensée sociale, devaient servir à débarrasser la cité de Dieu.
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« Semaine sanglante » : mémoires vives et peu communes
« La marche des martyrs, une aberration spirituelle et politique »
La Croix
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