Sécheresse : Émotion dans les villes, problème dans les champs
Écologie

Sécheresse : Émotion dans les villes, problème dans les champs

Par Stanislas de Larminat - Publié le 12/08/2022
En pleine période de sécheresse, les bâches de réserves d’eau ont été sabotées le 8 août à Pouillé et à Nalliers, en Vendée. En Haute Marne, douze bovins sont morts après quatre sabotages d’abreuvoirs en juillet. Les auteurs de ces actes de vandalismes, poussés par leur sensibilité écologique, ont compris l’enjeu  : provoquer un réflexe de sidération psychique, mettant en panne nos capacités de d’analyse et de décisions.

Il faut déjà éviter deux confusions. D’abord entre périodes estivales et sécheresses. Il existe des sécheresses d’hiver qui impactent les nappes phréatiques, comme en 1924-25. La sécheresse actuelle a, du reste, commencé dès cet hiver. Confusion également entre réchauffement climatique et sécheresse météorologique. Le Giec, dans son rapport, a d’ailleurs nié la corrélation entre les deux : « Les épisodes de sécheresse du dernier millénaire étaient d’une plus grande ampleur et plus longue que ceux observés dans de nombreuses régions depuis le début du XXe ».
Les problèmes consécutifs aux sécheresses sont toutefois réels. Posons quelques données simples : le géographe Ghislain de Marsilly estime les besoins humains en eau à 1.030 m3/hab./an. L’eau domestique ne représente que 1% de ce volume, l’eau nécessaire à la production de nos industries en représente le double (2%). 97% de nos besoins concernent l’agriculture. 70% des Français, majoritairement urbains, sont prêts à changer de comportement en cas de sècheresse, mais souhaitent au préalable imposer des contraintes aux agriculteurs. L’émotion se manifeste donc dans les villes alors que le problème est dans les champs.
Or l’eau nous est donnée en abondance  : les précipitations, en excluant celles tombant sur les océans, représentent 11.900 m3/hab./an (en les ramenant à 10 milliards d’habitants). Le rapport est donc onze fois supérieur aux besoins humains ! Certes il s’agit d’une moyenne et il faut distinguer, selon les régions, l’eau «  consommée  », rejetée ensuite dans l’atmosphère, essentiellement par la transpiration des plantes, et l’eau «  prélevée  » par l’homme dans les nappes ou les rivières et qui y retourne après usage.

La problématique de l’eau est donc une question d’accès à l’eau. C’est un sujet économique et agricole avant d’être écologique. Comme toute ressource naturelle, l’eau nécessite des investissements pour être rendue accessible.L’urbain qui consomme 97% de ses besoins en eau sous forme de produits agricoles souhaite légitimement les acquérir au plus bas prix. Or un élément important de coût est le stock de sécurité en cas de sécheresse. Au siècle précédent, un agriculteur stockait un an de récolte au cas où. Il stockait indirectement, dans son grenier à blé, l’eau qui avait été nécessaire pour faire pousser un an de récolte. Aujourd’hui, concurrence mondiale oblige : on ne stocke plus et il faudra bien, pour compenser, stocker de l’eau.
Dans ce contexte, deux boucs émissaires sont désignés à la vindicte des urbains : les bovins et le maïs. Sur ces deux points, il y a des malentendus. La production d’un Kg de viande nécessiterait entre 13 et 70 m3 d’eau.  Ces chiffres, répétés à l’envie, ont été complètement surestimés. En effet, 95 % de l’empreinte eau des bovins correspond à de l’eau de pluie, prise dans les sols et consommée en particulier dans des prairies dont le sol argileux est incompatible avec d’autres cultures. Un rapport de février 2017 de l’INRA avance un chiffre d’environ 0,6 m3 d’eau seulement pour produire 1 kg de viande de bœuf. À titre de comparaison, en moyenne, une lessive de linge consomme 0,1 m3. Voilà comment le rat des villes accuse à tort le rat des champs ! Par ailleurs, en France, la consommation de viande bovine est issue, pour l’essentiel, de « vaches réformées ». C'est dire que, pendant son cycle de production, le bovin produit 10 fois plus de lait qu’il ne produit de viande.

Quant au maïs, il faudrait 238 litres d’eau pour cultiver 1 kg de maïs ensilage et 454 litres pour le maïs grain.  Mais, le site très gouvernemental «  EauFrance  » souligne qu’il en faut 590 litres par kg de pomme de terre ou de blé ! Certes, les besoins du blé sont plutôt printaniers, alors que le maïs a des besoins en plein été. C'est oublier les cultures « dérobées » qui accompagnent souvent le blé et sont indispensables pour une agriculture raisonnée.  Ce maïs est, lui aussi une manière de « stocker de l’eau » pour nourrir les bovins quand ils ne peuvent plus retourner dans les prairies. Mais surtout, le maïs est utilisé pour l’élevage des volailles et des porcs, le glucose alimentaire, la pharmacie, les biotechnologies produisant la levure de boulangerie, le glaçage de nos papiers, la brasserie, les colles, etc. L’Europe est déficitaire en maïs. Les Européens sont-ils prêts à une dépendance extérieure de tous ces produits, comme ils l’ont été pour la moutarde ?

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1 commentaire
Armelle
Le 20/12/2023 à 17:46
Je suis intéressée par vos articles et réflexions sur la question de l'environnement et de la politique...Merci !
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