Politique

(Re)marchons enfants !

Par Louis Daufresne - Publié le 17/01/2020 - Photo : Des milliers de personnes ont manifesté à Paris contre la loi de bioéthique et l'ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires à Paris, le 19 janvier 2020. ©Estelle Ruiz/NurPhoto via AFP

La vraie communication ne se borne point à l'art d'agencer les mots pour faire passer un message ; elle dépend du regard de l'autre, de la confiance qui s'instaure et de la reconnaissance que l'on obtient in fine. C'est une gageure de nos jours car la mise en scène de tout événement résume celui-ci à l'énonciation de slogans. Or, tout slogan est une signature qui ne fait que coaguler un groupe dont il active les ressorts.

Après-demain, les opposants à la PMA (procréation médicalement assistée) embrayent sur une nouvelle mobilisation parisienne qu'ils espèrent aussi massive que celle du 6 octobre où ils revendiquèrent 600000 personnes. Mais il n'est pas du tout sûr que les positions bougent dans leur sens et que les Sylviane Agacinski, Jacques Testart et José Bové apportent leur caution au collectif Marchons enfants ! Pourtant, tout le défi des détracteurs de  « la PMA sans père »  est là : attirer d'autres visages sur la photo et préparer le combat à venir de l'opposition à la GPA. Pour l'heure, la macronie se réjouit que seuls les cathos se mobilisent. Le président actuel refait le coup de son prédécesseur. François Hollande savait qu'en allant « les chercher », il ferait passer le mariage pour tous. Comme si ce groupe dominé jouait le même rôle dans les conflits sociétaux que le Rassemblement national dans le registre politique : le prendre comme adversaire, c'est avoir la certitude de gagner. La victoire est-elle cependant acquise ? Le site catholique Aleteia parle de « semaine décisive pour le collectif Marchons enfants !  »  Pourquoi décisive ? On peut esquisser quelques hypothèses :

1. La macronie n'en finit pas d'être fragilisée par l'hostilité qu'elle suscite tous azimuts. La séquence des retraites allonge la liste des mécontents. Des professions libérales présumées Macron-compatibles s'insurgent contre un système universel de points qui fait main basse sur le magot de leurs caisses excédentaires. Les Français éreintés et appauvris par des grèves interminables risquent d'en faire payer la facture municipale au parti de l'exécutif. L'opinion est peut-être plus disposée à comprendre ce qui motive le collectif Marchons enfants

2. LREM n'ayant pas de majorité à la haute assemblée, on peut supposer que les choses n'y seront pas écrites d'avance. Certes, en commission,  « les sénateurs ont approuvé l'extension de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules », ainsi que le rappelle le journal La Croix. Après, le parti LR de Bruno Retailleau dispose de 144 des 348 sièges. Le texte sera débattu en séance publique à partir de mardi prochain. La manifestation vise à mettre les élus sous pression. Sur ce sujet-là comme sur d'autres, le Sénat se plaît à faire figure de contre-pouvoir, ce qui valorise son utilité si souvent contestée par le passé

3. Le débat peut réserver des surprises. Le cas du sénateur LREM des Bouches-du-Rhône Michel Amiel, vice-président de la commission des Affaire sociales, montre que des fissures, même fines, peuvent sillonner le barrage en béton érigé par le pouvoir sur ces sujets sociétaux. À la différence de son groupe, cet ancien médecin généraliste vota contre l'extension de la PMA, contre la transcription à l'état civil d'enfants nés de GPA à l'étranger, pour l'accès aux origines, mais pour l'extension des diagnostics préimplantatoires visant à détecter les maladies chromosomiques. On n'est donc pas obligé d'être d'accord sur tout. Michel Amiel est connu pour  « son sens de la mesure », indique l'hebdomadaire La Vie auquel il donne une interview. Il y regrette que  « la PMA ait été incluse dans les lois de bioéthique »  et affirme que dans son groupe, il a  « une position minoritaire mais pas unique », avant d'ajouter qu'il  « ne se considère pas comme conservateur ». Le débat va-t-il créer des ouvertures à ce niveau ? Rien n'est moins sûr car face à l'adversité, LREM se raffermit sur ses positions : conformément au souhait d'En marche, François-Xavier Bellamy vient d'être exclu de la liste des municipales à Versailles pilotée par le maire sortant François de Mazières, jugé Macron-compatible.

Le rapport de forces peut-il évoluer ? Aujourd'hui, on ne voit pas très bien comment. Pour le coup la séquence des retraites et des grèves hypothèquent l'espoir de mobiliser largement une opinion à cran et à bout. Néanmoins, le discours qui sera tenu dimanche méritera d'être écouté. Les mots employés vont peser de tout leur poids dans la panière des sensibilités contemporaines. Et l'affectif prend vite le pas, même sur les arguments apparemment guidés par la raison et le bon sens. Interrogée par l'AFP, Anne-Sophie Duperray eut la  « boule au ventre »  en découvrant les 74500 manifestants recensés en octobre à Paris par le cabinet Occurrence.  « Je me suis rendu compte qu'il fallait que je prépare ma fille, en lui expliquant que certains pensent qu'elle ne devrait pas exister », confie cette femme, mère de Léonie, 3 ans, née grâce à une PMA réalisée aux Pays-Bas. Cette catholique célibataire de 41 ans figure parmi les co-fondatrices de l'association Mam'ensolo. La bataille dans la rue se joue à coups de slogans qui peuvent être perçus comme  « violents et stigmatisants »  par les femmes ayant enfanté via ce procédé. Si Léonie ne sait  « pas encore lire », sa mère déplore des paroles comme  « PMA sans père, douleur sans fin ». Les mots  « orphelins »  et  « marchandises »  peuvent aussi se révéler blessants. Or il faut séduire.

Qui gagnera au bout du compte la bataille des sentiments et mettra les enfants de son côté ? Marchons enfants aura-il un pas léger sur un sujet lourd ?

La sélection
Manifestation des anti-PMA : ce qu’il faut savoir sur la mobilisation de dimanche
La Croix
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