Réintégrer les soignants non vaccinés est-il un « sujet épineux » ?
Santé

Réintégrer les soignants non vaccinés est-il un « sujet épineux » ?

Par Louis Daufresne - Publié le 22/07/2022
Faut-il réintégrer les soignants non vaccinés contre le Covid ? François Braun vient de dire non. Avec le nouveau Parlement, la question avait refait surface et le ministre de la santé s’était avisé de saisir plusieurs institutions sur ce « sujet épineux ». La démarche n’augurait pas d’une décision favorable, les avis d'autorité indépendante servant souvent de caution pour ne pas bouger. De fait, « l’Académie de médecine, le conseil scientifique et la Haute Autorité de santé ont un avis convergent. (…) Il est négatif », a relevé François Braun, avant d’ajouter : « On suit l’avis des scientifiques. »

Mardi, l’Académie de médecine exprimait ainsi « sa ferme opposition ». Le lendemain, à nouveau interrogé à l’Assemblée, le ministre de la Santé s’était déjà référé à ce veto.

Depuis le 15 septembre, tous les professionnels des secteurs sanitaire et médico-social sont soumis à l’obligation vaccinale. Depuis le 16 octobre, les soignants salariés ou agents publics réfractaires sont suspendus sans rémunération.

Pourquoi ce sujet est-il « épineux », comme le dit François Braun ? Il ne devrait pas l’être. Selon la Fédération hospitalière de France citée par l’Académie de médecine, « près de 0,3% des professionnels hospitaliers, soignants et non-soignants auraient été suspendus ». Le Conseil scientifique note que « seulement » 75 médecins et pharmaciens sur les 85000 en exercice auraient été suspendus et 950 infirmiers sur 240000.

Pourquoi ne pas les réintégrer s’ils sont si peu nombreux ? Esquissons plusieurs réponses.

La première, c’est qu’ils ne pèsent pas assez pour représenter un enjeu. La Fédération hospitalière de France note que « leur réintégration ne compenserait pas la grave pénurie de personnel dont souffre l’hôpital ». Il n’y a donc pas d’intérêt ni d'urgence à les reprendre.

La deuxième, c’est qu’ils ne sont pas organisés. Les soignants réfractaires ne forment pas une minorité. Le regard que l’on porte sur eux les fait ressembler à des chômeurs. Leur statut est économique, alors que leur refus est politique. Comme ils ne menacent pas le pouvoir, celui-ci les méprise (et les emmerde même). C’est une population stigmatisée sans projet.

La troisième réponse contredit les deux premières. Le nombre et l’activisme importent-ils au fond ? L’argument n’arrive qu’à la fin du communiqué de l’Académie de médecine ; il n’en est que plus important : « La réintégration de professionnels de la santé non vaccinés au sein de l’équipe soignante compromettrait le climat de confiance et la cohésion qui doivent exister entre ses membres et avec les malades. » Moralité : la contamination à éviter est celle de l’exemple, qu'on le juge bon ou mauvais.

Si on les réintégrait, les soignants non vaccinés reviendraient dans leurs services comme des prophètes dans leur pays. C’est un risque. Si l’exécutif s'était ravisé, que dirait-il à ceux qui lui obéissent sans restriction depuis le début ? La cohésion du plus grand nombre s’obtient au prix de l’exclusion des rebelles.

Cette histoire est moins sanitaire que politique. Les mots employés le prouvent quand le député LR de la Manche, Philippe Gosselin, plaide pour « une espèce d’amnistie », comme si on avait affaire à des délinquants, ou qu’Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale, affirme que cette réintégration ne serait pas une « réhabilitation ». Son interview (cf. article joint) pose bien le sujet.

Á l'inverse, le communiqué de l'Académie de médecine surprend par son absence de compassion envers une population médicale précarisée et culpabilisée. On attendrait plus de de sagesse de sa part. N’oublions pas que Richelieu créa l’Académie française pour réconcilier la France laminée par les guerres de religions. Une société savante modère les mœurs politiques, surtout si le risque d’une dérive personnelle du pouvoir existe.

L’Académie de médecine considère in fine que celui qui obéit est plus rationnel et vertueux que celui qui désobéit. Le XXe siècle aurait dû nous vacciner contre cette posture. Dans le domaine moral en particulier, le nombre ne prouve rien, nulle part et jamais. Et d’ailleurs, qu’en est-il vraiment ? On ne le sait pas et le communiqué ne cherche pas à en savoir davantage. On parle de 12000 soignants réfractaires. Il y a 14000 officiers dans l’armée de Terre. Les imagine-t-on défaillants et parias du jour au lendemain ?

L'Académie de médecine affirme qu'« aucun des arguments ressassés (absence d’efficacité, effets indésirables, manque de recul, etc.) ne permet de valider scientifiquement le refus de se faire vacciner, les véritables contre-indications médicales à la vaccination étant très rares ». Tant mieux si cela est vrai mais comment le savoir ? Sur ce point, le communiqué devrait publier des données ou en exiger.

Et pourquoi une personne vaccinée malade du Covid peut-elle entrer à l'hôpital, alors qu'un soignant sain mais réfractaire à l'obligation vaccinale s'en voit interdit l'accès ?

En résumé, il est hypocrite de consulter des autorités savantes sur un « sujet épineux » si leur réponse ne débroussaille pas la question.
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Soignants non-vaccinés : "Cette réintégration n'est pas une réhabilitation", tempère Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale
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