Rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l'Église : points forts et commentaires (II)
Christianisme

Rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l'Église : points forts et commentaires (II)

Par Louis Daufresne - Publié le 07/10/2021
Sur le rayon des idées reçues, le rapport Sauvé fait du chamboule-tout, et les points que soulève cette opération vérité méritent d’être commentés, comme nous avons commencé à le faire dans une précédente LSDJ (n°1399). Pour cet article, écartons la controverse sur la responsabilité collective, l’indemnisation et le secret de la confession pour reprendre des données chiffrées liées à l’enquête :

1. 55,9% des violences sexuelles dans l’Église ont eu lieu entre 1950 et 1970 : « Le silence a été dominant dans les 70 ans de l'étude (1950-2020), mais ces deux premières décennies sont marquées par le silence le plus profond », affirme Jean-Marc Sauvé. Dans « cette période (…) marquée par la crise sacerdotale [où] les séminaires se vident (…) l'Église cesse d'avoir un traitement systématique et interne de ces problèmes [et] elle est toujours aussi peu informée de ce qui se passe. Le rapport aux victimes demeure le même », ajoute le président de la Ciase.

CommentaireMai 68 n’est pas à l’origine de la dépravation des clercs. La Ciase porte le même regard sur l’Église postconciliaire que Tocqueville sur 1789 : il y a moins une rupture qu’une continuité. Vatican II ne fait pas date, contrairement à la guerre liturgique auquel le concile donne toujours lieu. Les turpitudes des communautés nouvelles, perçues comme le grand rebond spirituel des années 80, confirment ce caractère transversal.

2. 22,1 % des agressions ont été recensées entre 1970 et 1990 et 22 % depuis les années 1990. Cette dernière période est marquée, selon Jean-Marc Sauvé, par « une prise de conscience progressive (…). Toutefois, ajoute-t-il, elle « s'opère avec une certaine lenteur et de manière incomplète ».

Commentaire : le clergé ne s’est pas montré plus clairvoyant ou en avance sur son temps, alors que l’Église se dit « experte en humanité » et que Jean-Paul II faisait de la théologie du corps un axe majeur d’un pontificat vissé sur la morale. Ce sont les yeux de l’opinion qui s’ouvrirent en premier, avec l’électrochoc de l’affaire Dutroux (1996).

3. 80 % des victimes sont des garçons de 10 à 13 ans, alors qu’ailleurs, en particulier dans la famille, ce sont les filles à 70 %. Un effet d’opportunité explique cette inversion du « sexe-ratio », « les personnes agressées étant plus souvent des élèves en collège ou en internat non mixtes, des enfants de chœur ou des scouts au sein de collectifs majoritairement non mixtes ». Néanmoins, cet effet « est loin de rendre compte à lui seul d’une telle disproportion ». La Ciase pointe « la présence de profils psychologiques atypiques, portés sur cette paraphilie particulière qu’est l’inclination sexuelle vers les enfants de sexe masculin ».

Commentaire : que se passe-t-il dans la tête des prêtres abuseurs ? Une mère trop envahissante, une immaturité affective bloquerait-ils les clercs au stade pré-adolescent ? Aujourd'hui, on ne comprend pas l’indicible. Le Christ, lui-même Enfant, prit cet âge de la vie comme miroir de la perfection, de l’innocence et de la pureté de l’âme, comme une clef du paradis. Jésus libéra aussi l’enfance de la perception qu’en avait le monde antique. Sur l’échelle de la gravité, la pédocriminalité n’est pas comparable à des relations consenties entre personnes de même sexe ou de sexe différent. « Le plus terrible pour moi aura été de voir le mal le plus absolu – l'atteinte à l'intégrité physique et psychique d'enfants –, c'est-à-dire une œuvre de mort, perpétrée par des personnes dont la mission était d'apporter la vie et le salut. » Le verbatim le plus puissant de Jean-Marc Sauvé.

4. Le président de la Ciase préconise que les agressions sexuelles soient jugées contraires au cinquième commandement (Tu ne tueras point) et non plus au sixième (Tu ne commettras pas d’adultère).

Commentaire : les agressions sexuelles portent atteinte à la vie même de la victime. Cette vie dont l’Église fait l’éloge dans son combat contre les « avancées » éthiques, au fil d’un discours quasi obsessionnel. Il est singulier de vénérer d’un côté ce que l’on souille de l’autre. Changer de commandement vise à augmenter la responsabilité. Un certain discours clérical tend à partager les torts en visant des « pulsions incontrôlables » ou des « tentations » démoniaques. Comment voir juste sans disqualifier le rôle du malin ? Car à raisonner ainsi, la sexualité se trouve externalisée et le sujet déviant se persuade – tout en se reconnaissant « pauvre pêcheur – qu’il n’est pas à 100 % responsable des violences qu'il inflige. Cette main invisible facilite-t-elle le passage à l’acte ? En tout cas, se prévaloir d’une cause externe est inaudible et ne peut apparaître que comme le plus honteux des alibis.

L’Église est enjointe de ne pas refouler la complexité du fait sexuel, même dans ses aspects les plus pervers. « Il y a un écart abyssal, dit Jean-Marc Sauvé, entre les faits et l'extraordinaire difficulté à nommer les choses ». Des formules figées comme « gestes contraires à la chasteté » ou « gestes déplacés » apparaissent comme une échappatoire.

Un mot à rayer du vocabulaire, évidemment.
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