Projet de loi bioéthique : pourquoi les évêques s’y opposent
Bioéthique

Projet de loi bioéthique : pourquoi les évêques s’y opposent

Par Philippe Oswald - Publié le 19/09/2019
C’est une opposition claire et argumentée contre le projet de loi bioéthique qu’a affirmée la hiérarchie catholique à une semaine de l'examen du texte à l’Assemblée nationale et à moins d’un mois de la manifestation du 6 octobre. La parution, lundi 16 septembre, du livre « Bioéthique, quel monde voulons-nous ? » (Bayard-Les Éditions du Cerf-Mame) dont la rédaction a été dirigée par Mgr Pierre d’Ornellas, a été suivie d’une soirée destinée à expliquer les positions de la Conférence des évêques de France (CEF) au Collège des Bernardins. Le nouveau président de la CEF, Mgr Eric de Moulins Beaufort, archevêque de Reims, a résumé en introduction et en conclusion de cette soirée, les raisons pour lesquelles les évêques prennent position clairement contre l’actuel projet de loi, étant entendu que ce n’est pas l’Eglise qui organise la manifestation (la position officielle de l’épiscopat reste un appel aux fidèles « à se manifester » - selon la formule employée naguère par le cardinal Vingt-Trois-, Mgr de Moulins Beaufort ayant pour sa part « tendance à dire qu’il est de leur devoir de manifester », nuance qui fait débat entre catholiques).

Les circonstances de cette prise de position : ni les avis très majoritairement exprimés lors des Etats généraux de la bioéthique, ni les arguments développés depuis des mois par les évêques et de nombreux experts pour s’opposer à ce projet de loi ne semblent avoir eu le moindre effet sur les parlementaires qui les ont auditionnés : «[Ils] restent aveugles aux enjeux de ce qu’ils vont décider parce qu’ils sont fascinés par les promesses des techniques médicales et les techniques juridiques » a déclaré en introduction Mgr de Moulins Beaufort. Clin d’œil de l’Histoire : on notera que cette soirée se déroulait aux Bernardins, le lieu où le président de la République avait demandé aux catholiques de s'investir dans la chose publique en avril 2018.

Les arguments des évêques :

- La création d’un « droit à l’enfant » : la souffrance des personnes seules ou homosexuelles de ne pouvoir enfanter est indéniable. Mais en créant un droit à l’enfant, notre société se trompe : on ne résout pas « les souffrances des uns et des autres par des techniques médicales et juridiques » hors-sol, qui « transforment la médecine faite pour soigner et guérir si possible en réponse aux demandes et aux frustrations ».

- La « manipulation médicale » et les « bricolages juridiques » de la « PMA pour toutes » : « La médecine soignante deviendrait une médecine prestataire de service » pour répondre au désir d’enfant. Mais « la beauté de l’amour d’un parent pour son ou ses enfants ne suffit absolument pas à justifier que l’on livre la procréation à la manipulation médicale et la filiation aux bricolages ».

- La privation de père pour les enfants nés d’une telle PMA : cela ne signifie pas qu’ils seront tous « fatalement malheureux », car « l’être humain a une formidable capacité à s’ouvrir des chemins de bonheur ». Mais beaucoup seront en quête de la filiation dont ils auront été coupés délibérément.

L’atteinte à la filiation : le projet de loi prévoit une réforme de la filiation et de l'accès aux origines afin de permettre à ceux et celles qui le voudront de pouvoir connaître leur géniteur. C’est avouer que ces enfants seront en quête de leur père, c’est-à-dire de celui « dont ils descendent non pas seulement biologiquement mais aussi spirituellement ». En effet, les parents ne transmettent pas seulement des gènes mais aussi une histoire ; ils inscrivent leur enfant dans une lignée humaine.

- Une marchandisation et une judiciarisation inextricable : « L’ouverture qui se dessine d’un marché des ovocytes prépare l’existence de géniteurs aux descendants innombrables. Les spécialistes du droit de la filiation peuvent se faire des cheveux blancs et certains avocats ne manquent pas de se préparer à des profits intéressants. »

- « La PMA pour toutes » conduira à la GPA (gestation pour autrui). Bien que la plupart des partisans de la « PMA pour toutes » affirment que jamais notre pays n’acceptera la GPA, les mêmes arguments utilisés aujourd’hui pour instaurer la PMA pour toutes les femmes « serviront inéluctablement bientôt pour la GPA » puisque notre collectivité « s’est mise dans le piège qui consiste à répondre aux souffrances et aux frustrations par des techniques médicales et juridiques ».

- L’eugénisme gravit une nouvelle marche avec ce projet de loi, a averti l’archevêque de Paris, Mgr Aupetit, ancien médecin. L’élargissement de la PMA entraîne mécaniquement celui du diagnostic prénatal ou pré-implantatoire. Comment résister à la tentation de choisir « les gamètes à partir desquels sera conçu l’enfant pour lequel ils ou elles auront pris un contrat et émis une déclaration préalable » ? Parallèlement, on se prépare aussi à sacrifier des embryons pour pouvoir produire des médicaments. Comme à chaque révision des lois bioéthiques, on assiste à une nouvelle fuite en avant : ne sachant plus accepter les limites de la condition humaine, la société constitue sans cesse des droits nouveaux à exiger, tandis que faute d’avoir donné un statut à l’embryon humain, la recherche n’hésite pas à l’utiliser comme un matériau et à le détruire.

En conclusion : vers le transhumanisme. Si l’Eglise catholique plaide pour « que la raison l’emporte sur le désir », elle n’entend pas pour autant se laisser enfermer dans un « non » alors qu’elle est « avant tout un oui » à la bonté et à la beauté de l’union conjugale ouverte à la vie, oui aussi à la science lancée à la découverte du cosmos comme de notre corps. Mais c’est précisément ce « oui » fondamental qui l’oblige « à avertir l’humanité des pistes dangereuses, dépourvues de sens, où elle s’engage. » En effet, a souligné pour sa part Mgr d’Ornellas, en présentant sur RCF le livre qu’il a dirigé : « Ce projet de loi touche notre avenir. Il touche même quelque chose qui risquerait d’entacher l’intégrité de l’espèce humaine. Par certains côtés, on pourrait dire que le projet de loi flirte avec le transhumanisme. » Or, a-t-il averti aux Bernardins, « flirter avec le transhumanisme n'augure pas d'un monde plus fraternel ».
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