Procès Preynat : la curée pour l'ex-curé ?
Christianisme

Procès Preynat : la curée pour l'ex-curé ?

Par Louis Daufresne - Publié le 13/01/2020
Bernard Preynat : dans l’esprit du grand public, c’est le Marc Dutroux de l’Église catholique. Certes, le curé défroqué ne tua ni n’enfouit personne. Il comparaît demain à Lyon non pas aux assises mais devant le tribunal correctionnel. Dutroux prit la perpétuité, Preynat risque 10 ans. Mais les deux pervers sexuels, si différents soient-ils, sont reliés par deux éléments, un mot et une réalité.

Le mot, c’est l’impunité. Devant le monde entier, Dutroux l’insaisissable, et même le fuyard, « humilia » la justice et la police belge. Son cas en illustra tous les dysfonctionnements. Deux ministres démissionnèrent, des marches blanches mobilisèrent des foules, le grand écran s’en mêla (Au fond Dutroux, 1997) outre les nombreux documentaires télévisés. L’ombre de Preynat, quant à elle, mit en lumière les errements du clergé; un cardinal en vue dut prendre du champ puis répondre aux juges, un film franco-belge en épingla les attitudes dilatoires et la communication maladroite (Grâce à Dieu, 2018). On parla de « conspiration du silence ».

La réalité, c’est la prise de conscience. Il y a un avant et un après Dutroux. Pour Preynat, c’est la même chose. Si la grève des avocats retarde de 24 heures l’ouverture de son procès, l’attente y gagne en intensité. Les media en exagèrent peut-être les enjeux. Dans son dossier, la mise en examen du 27 janvier 2016 concerne des agressions sexuelles commises sur quatre mineurs entre 1986 et 1991. D'autres plaintes s’ajoutèrent mais de nombreux faits durent être écartés car prescrits. Faut-il lever la prescription ? La question peut se poser aujourd’hui. En octobre, la cour d’appel de Gdansk (Pologne) considérait que les abus sexuels commis sur un mineur relevaient de la torture. L’accusé, son ancienne paroisse et son diocèse furent condamnés à verser solidairement une indemnité de 400 000 zlotys (92 500 euros) en faveur de Marek Mielewczyk, 50 ans, victime d'un prêtre pédophile dans les années 1982-1987. De plus, des voix s’élèvent pour que soit prise en compte ce qu’on appelle « l’amnésie traumatique », un phénomène régulièrement souligné par sœur Véronique Margron, devenue une référence sur la question des abus cléricaux. L'enquête révéla que Bernard Preynat, ce titulaire d'un CAP de cuisinier, ordonné en 1971, avait perpétré ses premières agressions contre des enfants dès l'âge de 17 ans, alors qu'il était moniteur de colonie de vacances en 1962. L'intéressé soutient qu'il avait cessé ces agissements au début des années 1990 ; des faits postérieurs furent signalés mais l'enquête n'en retint aucun.

Ayant déjà livré ses aveux aux enquêteurs, Preynat sera condamné. 30 ans après, « la seule question, c'est la peine qui sera prononcée, en fonction des faits qui seront établis au procès », estime son avocat Frédéric Doyez, interrogé par l’AFP. Sur consigne du Vatican, le curé fut interdit de tout ministère pastoral après sa mise en cause mais il put célébrer des messes en privé jusqu'en mars 2018. Et ce n'est que l'été dernier qu'un tribunal ecclésiastique lui asséna sa première véritable condamnation en l'excluant définitivement de l'Église. Une sanction « contrainte » et bien tardive aux yeux de François Devaux, partie civile au procès et cofondateur de La Parole Libérée. Publiés fin 2018, les derniers chiffres de l'épiscopat font état de dix prêtres ou diacres mis en examen en France et quatre autres incarcérés pour agressions pédophiles. Preynat n’est donc pas le premier. Alors pourquoi en a-t-on autant parlé ?


1. Sans le cardinal Barbarin, son cas n’aurait pas été si médiatisé. Car très vite, l’affaire Preynat devient le scandale Barbarin. Mis au courant de son passé, le Primat des Gaules depuis 2002 est accusé de ne pas avoir informé la justice et maintenu le prêtre en poste dans son diocèse jusqu'en 2015. Une procédure de citation directe le conduit à la barre, et au terme d'un procès médiatique marqué par des témoignages poignants, l'archevêque est condamné en mars dernier à six mois de prison avec sursis. Désormais en retrait du diocèse, il attend la décision de la cour d'appel le 30 janvier. Cette affaire dans l’affaire permet de faire chavirer le plus conservateur des hauts prélats français, un temps pressenti comme papabile. On peut s'étonner de voir le cardinal Barbarin jugé avant le père Preynat.

2. L’affaire Preynat permet de toucher les réseaux hostiles au « mariage pour tous » et de pointer l’hypocrisie de la sociologie catholique aisée. L’ex-prêtre officiait comme vicaire-aumônier « scout » à Sainte-Foy-Lès-Lyon (Rhône). Scout ? Les guillemets s’imposent car toute cette époque fleure aussi l’amateurisme au regard des réglementations toujours plus strictes encadrant les mouvements de jeunes. « Aux Scouts et guides de France, personne ne peut se retrouver en situation d'être seul avec tout un groupe, comme ça pouvait arriver à Saint-Luc », affirme François Mandil, ex-responsable de la communication, soulignant au passage que ce groupe n’était affilié à aucun mouvement reconnu. Malgré tout, le nom de Preynat est associé au scoutisme dont il abîme l’image depuis maintenant plusieurs années. L’affaire esquinte un milieu que l'on présume peu habitué à dénoncer les injustices, même si ses enfants en sont victimes.

3. L’affaire Preynat sape l’autorité morale de l’Église. À la différence de Dutroux dont la société n’attendait rien de bon, le prêtre subit une pression inédite sur les actes qu’il pose. En effet – et c’est un paradoxe –, plus une société se déchristianise, plus elle idéalise ce qui devient singulier : le prêtre, cette « vocation » de célibataire apparaît comme quelque chose de suspect : peu rémunératrice, théoriquement inaccessible au plaisir sexuel mais fort d’un pouvoir sur les personnes qui l'écoutent et une communauté qui le fréquente. L’équation semble impossible à tenir dans des conditions saines. Aux yeux de nos contemporains, l’affaire Preynat montre que le clergé est peuplé soit de pervers, soit de frustrés. Face à cette impression, quel effet peuvent bien produire les quelques mesures de prudence préconisées par soeur Margron, comme l'accueil plus rigoureux de religieux venant de l'étranger, ou la création d'un « délégué épiscopal », référent prévention, dans chaque diocèse. Pour l’Église catholique, ce moment judiciaire doit lui donner l’occasion de s’expliquer sur la place et le rôle du prêtre.
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