Peut-on recruter des profs en rase campagne ?
Éducation

Peut-on recruter des profs en rase campagne ?

Par Louis Daufresne - Publié le 10/06/2020
Déconfiner son image de mammouth n’est pas chose aisée et la rue de Grenelle vient d’en faire l’expérience. Le ministère de l’Éducation nationale voulait séduire les jeunes par une campagne de recrutement axée sur une communication « cool ». À l’arrivée, le « spot » dut être retiré sous les sifflets des milieux enseignants. Une déferlante de commentaires blessés et scandalisés avait saturé les réseaux sociaux. Comme quoi, on peut avoir une bonne idée et la torpiller par maladresse.

Le ministère ciblait les moins de 30 ans via Konbini. Ce media à l’image très « hype » combine le dur management d’une start-up et la bien-pensance de France Inter. Imaginait-il semer une graine de hussard noir dans ce public-là ? Après tout, pourquoi pas ? Mais l’exercice nécessitait de faire un salto intellectuel et là, le ministère se ramassa sur ses bourrelets.

Le message et le visuel de la campagne comparaient le métier de prof à celui de serveur chez McDo ! Ne soyons pas obtus. On comprend l’idée, celle qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre : les jeunes cherchent des jobs d’été pour gagner des sous. Partant de là, on peut les accrocher et leur mettre en tête un projet auquel ils n’auraient jamais penser : s’initier à l’enseignement en conditions réelles, avec tuteur et contre une rémunération alléchante, pour 8 heures par semaine, soit un investissement compatible avec un emploi du temps en Licence 2 et 3 ou Master 1. Bien sûr, rue de Grenelle, on voit l’intérêt comptable : taper dans la masse des jeunes sans gros bagage permet de pallier pour pas cher la pénurie d’enseignants statutaires. Cela s’appelle prolétariser une profession.

Le contrat de pré-professionnalisation propose 700 € en L2, 963 € en L3 et 980 € en M1. Pour ce prix-là, c’est quand même plus valorisant de parler de nos ancêtres les Gaulois que de transpirer en arrière-cuisine et de sentir la frite… Sauf que la comparaison fait grincer le milieu et c’est normal : « Pas d’autre argument pour exercer le métier d’enseignant que celui d’éviter de travailler dans un fast-food ? Ne passerait-on pas à côté de quelques éléments essentiels ? », s’interroge un internaute. Un autre message explique : « À l'époque on prenait à l'école normale la crème du collège (15 ans) qui se sentait une vocation ; maintenant on prend des bac+4 qui entre 15 et 23 ans ont eu le temps de réfléchir, non pas sur ce qu'ils ont envie de faire ni s'ils ont une vocation mais sur un boulot qu'ils jugent avec pas mal de vacances et pas si mal rémunéré ! Le hic pour eux, c'est que les gosses ne sont plus aussi faciles comme élèves qu'il y a 40 ou 50 ans ! » Ici, le système touche ses limites. Qu'est-ce à dire ? Que tout le monde devrait vouloir être prof. Les arguments sont nombreux : un emploi sûr, un statut protégé et des congés abondants. Alors que Pôle emploi va se lester d’un million de chômeurs supplémentaires cette année pour cause de Covid-19, il y aurait tout lieu de penser que le tableau noir et la craie en attirent plus d’un. Or, ce n’est pas le cas. Toute campagne de communication devait partir de ce paradoxe-là et d’une question : pourquoi transmettre et à qui ? Mais cette interrogation appelle trop de remises en cause. Pourtant, ce dispositif intelligent est bien expliqué dans une vidéo d'Édouard Geffray, directeur de général de l’enseignement scolaire dont une phrase claque comme un éclair dans le ciel : « Il n'y a pas de plus beau métier que de transmettre. » L’école est à la République ce que le tiers-ordre est à l’Église. Certes, il est scandaleux qu’un agrégé soit smicard mais comprendrait-on qu’un prêtre gagne une blinde ? Par nature, une vocation est sacrificielle, qu’elle soit professionnelle, religieuse ou familiale. Le journalisme fonctionne de la même manière. Faire du fric n’est pas le but. Ce qui est déplorable, c’est que l’État en abuse pour sous-payer ses agents et que, dans la société où tout se dilue dans les choses, nul ne sait plus ce qu’un sacrifice veut dire.
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