Sciences

"Pas de déconfinement sans traçage"

Par Louis Daufresne - Publié le 08/05/2020
« Traçage et fichage sont les deux mamelles de la France », se fût peut-être exclamé Sully s’il eût vécu à notre époque. Si nos pâturages sont numériques, les labourages visent à moissonner le champ des data, et des données médicales en particulier. Comme l’eût dit le paysan de La Fontaine, « un trésor est caché dedans », évalué à 1300 mds $ pour ce seul secteur. Les GAFAM le reluquent et des États aussi.

À qui cette crise sanitaire va-t-elle profiter ?

À ceux qui possèderont l’information que tous les mouchards leur transmettront. « Pas de déconfinement sans traçage », avertit Olivier Véran. Le ministre de la Santé va lancer tout un système, en lien avec l'Assurance maladie, « destiné à identifier des personnes infectées » et « à collecter des informations » sur les personnes en contact avec elles, afin qu'elles s'isolent si besoin. En termes policiers, cela s’appelle « faire l’entourage ». Si toute information rend service, toute technique est réversible et dépend du pouvoir qui la gère : qui va l’exploiter, à quelle fin et combien de temps ? L'exemple chinois invite à réfléchir, comme le montre ce reportage d'Arte sur la vidéosurveillance. Ainsi l’application StopCovid – qui sera lancée le 2 juin – doit prévenir les propriétaires de smartphones ayant côtoyé des malades. Pourquoi pas ? Mais c’est la première fois que le gouvernement se dote d’un outil surveillant les allées et venues. Un outil d’un nouvel-âge : 

Traçage : depuis la vache folle (1996), la novlangue utilise le mot de traçabilité pour rassurer les consommateurs. Ainsi comme des bovins, le téléphone sert d’étiquette d’oreille. Piloté par l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), StopCovid exclut à ce jour tout partenariat avec Apple et Google, dont les systèmes d'exploitation (iOS et Android) équipent la majorité des téléphones en France. À ce jour car l’Allemagne partait avec la même résolution puis se rallia aux géants américains. Qu’en sera-t-il chez nous à terme ? Mystère. Le traçage est aussi limité par le taux d’équipement : un quart des plus de 70 ans, les plus exposés au Covid-19, n’a pas de smartphone… Tous ces obstacles sont provisoires. Ce qui importe, c'est que le traçage s'impose comme une évidence.

Fichage : dans quelle base de données remonteront les informations ? Quel organe sera chargé de contrôler ce flux ? Quid du droit individuel d'opposition à l'inscription au fichier que chercha à supprimer le gouvernement ? Cette semaine, les sénateurs validèrent des « garanties » : dérogation au secret médical limitée dans la durée – celle de l'état d'urgence sanitaire –, et le périmètre – uniquement les données concernant l'infection par le virus. Mais le gouvernement n’acquiesça point à tout. Qui peut imaginer que ces « garanties » puissent freiner ce mouvement mondial d’agrégation des data ?

Bornage : c’est la limitation dans le temps du dispositif – dont ne veut pas le gouvernement. Technique ne rime pas avec éthique, on le savait déjà. Épidémies et guerres favorisent la « loi de Gabor », du nom de ce physicien hongrois (1900-1979) : « Ce qui peut être fait techniquement le sera nécessairement », même si cela n’est pas souhaitable. L’état d’urgence sanitaire, convergeant avec la lutte antiterroriste, instaure et pérennise des pratiques comparables : par exemple, les drones de surveillance appartiennent désormais à l’arsenal policier, sans marche arrière possible.

Ciblage : au-delà du Covid-19, le gouvernement souhaite se donner la possibilité d'ajouter des données de santé complémentaires. En clair, l’application StopCovid n’est qu’un ballon d’essai. Tout comme l’anonymisation, le volontariat est une vue de l’esprit. Quelle personne malade serait d’ailleurs prête à se déclarer ainsi ? L’efficacité repose sur un usage massif, donc contraignant. En Autriche, moins de 5 % des citoyens avaient installé l’application de la Croix-Rouge, ce qui ne servit à rien.

Flicage : StopCovid n’aidera pas le propriétaire de smartphone ou les personnes qu’il croise à changer de route ou de comportement pour se protéger, même si c’était le service que l’on pouvait en attendre. En revanche, l’application permettra de vérifier où il se trouve et, pourquoi pas, à le punir s'il n'est pas au bon endroit. Comme l’écrit François Jeanne-Beylot, expert en intelligence économique : « À Singapour, une application permet d’identifier les personnes ayant été en contact avec des malades à moins de deux mètres. Les personnes contaminées (…) sont obligées d’être confinées et doivent prouver par le biais de leur portable qu’elles se trouvent bien à leur domicile par un appel géolocalisé. » Même chose dans la Pologne très catholique, si souvent citée par les milieux conservateurs : un robot vous demande de vous prendre en photo pour que la reconnaissance faciale atteste que vous êtes chez vous ! Il y a de quoi s'alarmer mais les plus résignés répondront que Google et sa fonction your timeline nous suivent déjà partout, avec notre consentement plus ou moins explicite…
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