Mitterrand, 25 ans après : le changement, c'est toujours maintenant
Politique

Mitterrand, 25 ans après : le changement, c'est toujours maintenant

Par Louis Daufresne - Publié le 15/01/2021
Il voulait « changer la vie ». 25 ans après sa mort, le 8 janvier 1996, on peut dire que François Mitterrand y est parvenu. Certes, Valéry Giscard d’Estaing lui avait déroulé le tapis rose (LSDJ n°1136). Mais seule la gauche possède les clés de la Révolution. L’histoire est sa propriété intellectuelle ; tout y est mis à son crédit. On se souvient du sphinx quand Chirac, VGE ou Pompidou font office de rois bourgeois. Seule la gauche régale, quand la droite crispe, pleurniche ou trahit. C’est l’intelligence de François Mitterrand d’avoir su de quel côté on fait rêver les gens. Grâce à lui, la construction européenne, même fragilisée, est toujours un horizon indépassable, « un gage de stabilité et de paix pour le continent ». Emmanuel Macron le dit : « N'oublions jamais ses mots : "Le nationalisme, c'est la guerre" ». Depuis 1995, ce cri résonne toujours au Parlement de Strasbourg.

Pour l’actuel chef de l’État, « ses deux septennats continuent d'irriguer notre histoire collective ». Sans anticiper sur le 40e anniversaire du 10 mai 1981, esquissons quelques mutations de taille survenues dans la conception de la vie, privée et publique :

L’abolition de la peine de mort (9 octobre 1981) n’est pas qu’un acte judiciaire ; elle change le rapport à la punition, donc à l’autorité. Rien ne mériterait plus une sanction éternelle ici-bas. 81 fait goûter à tous le fruit défendu de 68 – qui célèbre les noces de l’espérance et de la jouissance terrestres. La mort sort officiellement du champ de la vie et cela est perçu comme un « bond civilisationnel ». Ne glosons pas sur l’horreur de la guillotine : que la France fût le dernier pays de la CEE à faire choir le rasoir national ne pouvait pas laisser indifférent. Mais allons au-delà. Changer la vie, c’est chasser la mort. Et cette obsession nous poursuit plus que jamais. L'idée même de mourir deviendra incompatible avec les temps nouveaux. La peine capitale insulte l’État de droit.

Si Giscard inaugure pour lui-même une nouvelle manière de gouverner, le loisir et la fête deviennent sous Mitterrand un mode de gouvernement. Ses réformes (39 heures, retraite à 60 ans, 5e semaine de congés payés) distillent avec euphorie une idée forte : on est là pour s’amuser, alors que la droite fait trimer et prier. Un ministère du Temps libre met en œuvre la « Fête de la Musique et de la Jeunesse » dès le 21 juin 1982. L’événement se mondialisera. Jack Lang l’accouplera à d’autres mobilisations sociétales. Les grands travaux mitterrandiens inaugurent un nouvel ordre culturel dominé par le festif, la dévalorisation du travail et le bonheur sur fonds publics illimités. L’économie décroche très vite et très brutalement. Seule la maîtrise de l’inflation reste un acquis de cette période. Pour se tirer de là, François Mitterrand n’aura d’autre choix que la fuite en avant européenne sous casque à pointe.

Autre mutation profonde : la réforme de l’audiovisuel. Le phénomène des radios libres fait le même tohu-bohu que les réseaux sociaux. Émettre ne rime plus avec maître. Le délibératif descend à tous les étages, innerve l’associatif et l’éducatif, deux filières de la gauche qui coûtent cher et s’agitent encore beaucoup. Le progressisme scolaire est si partagé que François Mitterrand juge absurde de maintenir l’école privée. Ce n’est qu’un réflexe de classe mû par la droite qui le fera échouer. Car toute parole descendante est déjà périmée. Canal Plus, créé en 1984, fait de ses plateaux TV la première agora et la seule qui compte. L’humour politique devient une arme. Après Thierry Le Luron, elle passe à gauche avec les Guignols. La rigolade acquiert une énorme influence. Qui le nie aujourd'hui ?

Dans le même temps, un Maccarthysme pleut sur les media pour les mettre au service de sa majesté. La TV déploie toute sa puissance sur l’opinion. La mort de Malik Oussekine (1986) et la profanation du cimetière juif de Carpentras (1990) restent des cas d’école. Après l’union de la gauche, François Mitterrand fera la division de la droite grâce à la théâtralisation de l’antiracisme. D’Harlem Désir à Adama Traoré, cette rhétorique ne cesse d’agir sur la société.

François Mitterrand est perçu comme un personnage attaché à des traditions, à de mystérieuses « forces de l'esprit » aussi. Il partageait ses angoisses métaphysiques avec le philosophe Jean Guitton. Mais le pouvoir qu’il donna au gauchisme rend cet aspect indéchiffrable et socialement inopérant. On se souvient de son affiche de la campagne de 1981 : « la force tranquille » (expression de Léon Blum en 1936) lui fait prendre la pose devant un paysage du Morvan sculpté par une église romane. Même s'il en avait effacé la croix, le message était là. Aujourd'hui, aucun homme politique n'oserait faire la même chose, quelle que fût son étiquette. L'idée ne lui viendrait même pas à l'esprit. En creux, l'oubli est le legs de cette époque.
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