Méga-bassines : les coulisses de la guerre de l’eau
Écologie

Méga-bassines : les coulisses de la guerre de l’eau

Par Judikael Hirel - Publié le 02/11/2022 - Photo : AFP / PASCAL LACHENAUD
Ils ont comparé la prise de la bassine à celle de la Bastille… D'ailleurs, le drapeau rouge flottait au-dessus de manifestants masqués réunis pour s'opposer au projet de méga-bassine de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Des militants qui parlent d’une véritable guerre de l’eau, appellent à la « protection du bien public universel qu’est l’eau ». Mais quand l’écologie est avant tout politique, pas sûr que la nature en sorte gagnante...

Au fond, que reproche-t-on à ces vastes projets permettant de prélever et stocker des réserves d'eau durant l'hiver ? Dans un contexte de réchauffement climatique réel et de sécheresses à répétition, l'idée – qui d'ailleurs existe depuis des millénaires - semble pourtant aussi logique que rationnelle. Quelques chiffres parlants : avec une capacité de 240.000 m3 d’eau, une réserve artificielle d’environ 10 hectares représente une surface de sept à dix terrains de football et peut faire jusqu’à 15 mètres de profondeur. La création de tels stocks d'eau permet de réduire de 70% les prélèvements en période estivale.

Côté opposants, on dénonce une aberration écologique : l'eau de ces bassins géants parfois grands de plusieurs hectares, rendus étanches grâce à des bâches, n'est pas de l'eau de pluie collectée. Il s'agit d'eau directement prélevée via des pompes et des canalisations dans les nappes phréatiques en hiver, de novembre à mars, quand le niveau de ces dernières est assez élevé. Autre reproche des opposants : l'argent. Ces énormes projets accapareraient les subventions publiques. Les opposants y voient à la fois une monopolisation des financements et un « accaparement de l’eau », par l’agro-industrie et des mains privées, au détriment des simples citoyens et des petites exploitations. La Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres, coopérative privée créée pour l'occasion, réunit en fait près de 500 agriculteurs. Le contrat signé avec l’État et subventionnant la construction de 16 réserves d'eau vise à alimenter 220 exploitations.
Les défenseurs du concept mettent en avant le sérieux du rapport sur le sujet rendu par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), consultable en ligne. Selon les chercheurs, les pompages permettant de remplir les bassines ont un impact « souvent négligeable » sur le cycle de l’eau en hiver. Selon la conclusion du rapport, ils permettraient même « d’augmenter les quantités d’eau apportées au Marais poitevin et aux zones humides du‬ ‪Mignon et de la Courance.‬ » Quant aux prélèvements hivernaux pour le remplissage des retenues, ils auraient « un impact‬ ‪limité sur les nappes d’eau souterraine et les débits des cours d’eau, souvent négligeable du fait‬ ‪des débits élevés et des piézométries hautes sur cette période. » Qui plus est, des seuils limites au-delà desquels les remplissages sont interdits, sont imposés par les autorités. Enfin, en contrepartie de la création de ces réserves créées dans les régions les plus exposées aux sécheresses, les agriculteurs s’engagent à des pratiques plus respectueuses de l’environnement : plantation de 100 km de haies d'ici à trois ans, création de corridors écologiques, diminution de 50% de l'usage de produits phytosanitaires d'ici 2025… Mais ces engagements seront-ils tenus, et leur non-respect sanctionné ?

Depuis 2006, la question de ces réserves d'eau suscite une opposition de plus en plus forte de la part des militants écologistes. Au fond, le refus de la création de ces réserves artificielles est avant tout la critique d'un modèle agricole productiviste, excessivement gourmand en eau. Selon leurs détracteurs, alors que le climat change, ces méga-bassines incitent à la continuation sans remise en cause des pratiques actuelles. On retrouve là l'opposition quasi-caricaturale entre deux visions de l'agriculture, celle de la FNSEA, La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, qui soutient les projets de bassines, et celle par la Confédération paysanne, qui s'y oppose. Ainsi, aux côtés du collectif « Méga-bassines non merci », on retrouve aussi bien la Confédération paysanne, la Ligue pour la Protection des Oiseaux qu'Attac, Europe Ecologie Les Verts ou La France Insoumise. Quant au slogan retenu dans les Deux-Sèvres, « Tout le monde déteste les bassines », il n'est pas sans en rappeler un autre, scandé au cours des manifestations d'extrême-gauche : « Tout le monde déteste la police ». Dans la foulée des ZAD et de Notre-Dame des Landes, une nouvelle génération de militants tenante d’une écologie radicale monte le ton. Plus encore que les faucheurs volontaires anti-OGM de jadis, ces ultras, que l’actuel ministre de l’intérieur assimile désormais à des « écoterroristes », s’en prennent désormais à de nouvelles cibles : pneus de SUV, terrains de golfs, et donc méga-bassines. La vision de ces nouveaux « écommunistes » est bel et bien politique, l'écologie n'étant en réalité qu'un nouveau moyen de parvenir à une même fin. Après tout, Greta Thunberg ne vient-elle pas d'admettre que son objectif n’était pas d’alerter sur les conséquences du réchauffement, mais de renverser « l'ensemble du système capitaliste [...] colonialiste, impérialiste, oppressif, raciste et génocidaire  » ?
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Méga-bassines : les coulisses de la guerre de l’eau
Face à la sécheresse, stocker de l'eau dans des "méga-bassines" ne coule pas de source
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