Les retraites à contre-temps
Politique

Les retraites à contre-temps

Par Philippe Oswald - Publié le 12/12/2019
Les Grecs en avaient fait un dieu : Kairos, le dieu du bon moment, de l’occasion opportune pour agir, tandis que Chronos est le dieu du temps qui passe et de la destinée. Dans la tradition biblique, le kairos, est le « temps favorable », le temps choisi par Dieu pour exercer son action salvifique. Or l’absence du « kairos » n’est pas le moindre des problèmes soulevés par la réforme des retraites. La paralysie de la France à quelques semaines de Noël avec, en prime, les révélations sur les activités parallèles -et pour l’une, au moins, confortablement et illégalement rémunérée- du « grand manitou » de la réforme, Jean-Paul Delevoye, ne présentent sûrement pas l’occasion idéale dont rêvait le « maître des horloges », Emmanuel Macron pour faire passer « la mère de toutes les réformes » de son quinquennat. Après que les Gilets jaunes et l’affaire Benalla ont fait reculer l’aiguille sur le cadran, force est de constater que deux ans d’intenses concertations avec les partenaires sociaux débouchent sur un sévère blocage.

On dira qu’en France, le temps opportun pour faire passer une réforme est rarement au rendez-vous, même lorsqu’une grande majorité de Français l’estiment nécessaire. S’agissant des retraites, la démographie et la situation de l’emploi ne laissent guère place au doute. La retraite par répartition, instaurée à la fin de la guerre, était fondée sur 3,2 enfants par couple, l’entrée dans la vie active se situant vers 20 ans, le départ à 65 ans, avec une espérance de vie de 5 ans de plus. Dans les années 50-60, on comptait 4 actifs pour 1 retraité. Aujourd’hui, la moyenne est de deux enfants par couple, on entre rarement dans la vie active avant 23 ans, on en sort au mieux à 63, et l’espérance de vie après la retraite frôle les 20 ans. On compte moins de 2 actifs pour 1 retraité (et l’on va vers 1,3 actif pour 1 retraité). D’où le caractère obsessionnel que prend la question de la retraite, de son montant, de la valeur du « point », de « l’âge pivot », de la « pénibilité » etc., y compris chez des jeunes auxquels on pourrait conseiller d’élargir leur horizon… Il n’y a pas que la retraite dans la vie ! Mais l’annonce faite par le Premier ministre mercredi soir, 11 décembre, ne les aidera pas à se décontracter.

Son « nouveau pacte entre les générations » crée une fracture générationnelle entre les « baby-boomers » qui seront épargnés et les Français nés après 1975, ceux-ci subissant les effets de la réforme (de plein fouet à partir de la génération 2004). À cette fracture générationnelle s’ajoute une fracture sociale, car la réforme ne s’appliquerait d’abord qu’aux travailleurs du secteur privé, les bénéficiaires des régimes spéciaux (SNCF, RATP…) n’étant concernés qu’à partir des génération nées en 1985. Pour eux, dix ans de sursis… Ce favoritisme est-il compatible avec l’ « ambition de justice sociale » vantée par Edouard Philippe ? Enfin, malgré ses promesses et ses dénégations, il n’a nullement rassuré sur le maintien de la valeur du « point », ni dissipé la crainte d’une mainmise de l’Etat sur les caisses des professions libérales qui, elles, sont en bonne santé.

Certains se félicitent que le Premier ministre soit resté « droit dans ses bottes » en tordant le cou aux « régimes spéciaux » quitte à créer l'unanimité syndicale contre ses annonces. Mais jouer le pourrissement en espérant qu’à l’approche de Noël, la fatigue et l’angoisse devant une nouvelle paralysie du pays retourneront contre les grévistes les Français qui « galèrent », selon l’expression d’Edouard Philippe, serait un jeu dangereux. La République laïque veut sans doute l’ignorer (les commerçants, eux, en savent quelque chose !) mais l’Avent n’était vraiment pas un temps opportun pour présenter une réforme d’une telle ampleur, même à supposer qu’elle eût été enfin ajustée et dûment financée. A moins qu’il ne s’agisse « en même temps » de jouer la stratégie du pire…
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