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Les nouveaux parrains : "Big Pharma", industriels chinois et cartels mexicains

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 30/12/2022 - Photo : Shutterstock
C’était en 2007. Une luxueuse « hacienda » de la banlieue de Mexico était investie par des agents fédéraux mexicains. Un trésor de 205 millions de dollars en liquide y dormait. Il n’appartenait pas à un parrain descendu des « sierras » du Sinaloa avec son sombrero sur la tête – mais à un élégant homme d’affaires chinois : Zhenli Ye Gon. Selon les procureurs américains et mexicains, cet homme avait fait fortune en important de la pseudoéphédrine, une molécule utilisée pour fabriquer les décongestionnants traitant les symptômes du rhume. En provenance de laboratoires chinois, elle était vendue aux cartels mexicains pour fabriquer de la méthamphétamine. Habitué des casinos de Las Vegas, Ye Gon y menait la grande vie. Il y a perdu 125 millions de dollars au poker et il a offert à une hôtesse particulièrement aimable une villa d’1 million de dollars… Pas un discret donc... Les autorités américaines l’ont coffré pour l’extrader vers une prison de haute sécurité mexicaine.

À l’époque, cette histoire semblait être à la marge du trafic massif de cocaïne et d’héroïne entre le Mexique et les États-Unis. On s’est rendu compte depuis que Ye Gon était un pionnier et que les trafiquants mexicains avaient repris son « business model », changeant radicalement la structure d’un trafic pour profiter à plein de la globalisation. Depuis lors, le trafic de drogues de synthèse (c’est-à-dire à base de substances chimiques) a peu à peu supplanté celui issu de plantes (cocaïne, héroïne, cannabis). Les avantages sont multiples : les nouvelles drogues sont moins chères à produire, ne dépendent pas de la météo, et les ateliers de production sont faciles à cacher. Elles sont aussi beaucoup plus puissantes pour une clientèle toujours plus en manque…

Suivant l’exemple de Ye Gon, les cartels mexicains ont forgé une alliance avec des chimistes asiatiques, explique Ioan Grillo dans UnHerd (voir l’article en lien). Le point de bascule est arrivé en 2018 quand les douanes américaines ont saisi plus de cristaux de métamphétamine que de cocaïne (catégorie des drogues « excitantes »). Et en 2021, les saisies de fentanyl ont dépassé celles d’héroïne (drogues « tranquillisantes »). Cette tendance est devenue exponentielle en 2022 : on a saisi 7 fois plus de fentanyl que d’héroïne, et 2,5 fois plus de cristaux de « méth » que de cocaïne… Le cannabis fut longtemps la drogue couramment exportée par les trafiquants mexicains mais les saisies ont baissé depuis 2012, alors que plusieurs États américains ont légalisé son usage récréatif. L’énorme quantité de cocaïne produite par la Colombie est dirigée vers le marché européen alors que l’Amérique du Nord s’abrutit aux drogues de synthèse.

Ce phénomène coïncide avec une augmentation vertigineuse des morts d’overdose aux États-Unis : de 27 000 en 2007, on est passé à 107 000 victimes en 2021. Les drogues chimiques sont les premières responsables : 71 000 morts liées aux tranquillisants et 32 000 dues aux excitants. Le nouveau trafic s’appuie sur des piliers de la globalisation des échanges : les cargos gigantesques traversant le Pacifique et les grands laboratoires pharmaceutiques. Ces derniers sont aujourd’hui mis en cause aux États-Unis pour avoir vendu en masse des opioïdes à des consommateurs devenus dépendants… Ils viennent pour une large part de la « Rust belt » – cette Amérique de l’intérieur qui a perdu ses industries et donc ses emplois. L’explosion des overdoses en 2022 s’explique aussi par les effets délétères des confinements sur la santé mentale qui touchent des classes sociales plus aisées et des personnes jeunes.

On ne semble pas trouver de solution politique. Côté républicain, on demande de classer le fentanyl comme « arme de destruction massive » et d’ajouter les cartels mexicains sur la liste des groupes terroristes tout en pointant du doigt l’immigration comme accélérateur du trafic. On parle moins de la responsabilité de « Big Pharma »... Côté démocrate, on insiste sur l’accompagnement social et sur la légalisation de drogues dites « douces ». Le bilan s’avère désastreux dans les grandes villes gouvernées par la gauche américaines et le débat sur la légalisation semble dépassé. On normalise l’usage de drogues sachant que le cannabis prépare une nouvelle clientèle aux drogues de synthèse… Au Mexique, le gouvernement fédéral de gauche a abandonné la « guerre contre la drogue » lancée en 2006 par l’ancien Président Calderón qui a fait au moins 300 000 morts. La situation actuelle est schizophrène : le Mexique est devenu militarisé avec les forces dites incorruptibles des « Marinas » omniprésentes dans les zones sensibles alors que les principaux cartels continuent d’opérer en toute impunité.

Donald Trump avait mis la pression sur la Chine en 2019 et obtenu que la production de fentanyl soit surveillée par Pékin. Mais il semble que les chimistes chinois aient trouvé des alternatives en déplaçant leur production ailleurs en Asie. Les cartels mexicains ont tout prévu : ils cherchent déjà à recruter de jeunes chimistes sortant d’universités pour pallier toute interruption d’importations.
La sélection
Les nouveaux parrains :
Mexican cartels have turned to fentanyl
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